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laquelle le journalier s’est habituée, et qu’il exige, par conséquent, de celui qui l’emploie. »

Et maintenant, un navrant tableau de misère campagnarde :

« Dans les cantons couverts du pays de Ritche, les hommes sont aussi misérables que le sol est ingrat : leur nourriture habituelle consiste en pommes de terre mêlées avec du lait caillé ; leurs vêtements sont des étoffes grossières de toile ou de laine qu’ils fabriquent chez eux ; ils ont des sabots pour chaussures, et des cabanes faites en clayonnage et en torchis ; chacun possède des terres communales acensées ou envahies ; ils ont une vache et un cheval pour les labourer ; ils les sèment en seigle ; ils les plantent de pommes de terre. On inclinerait peut-être à penser qu’ayant peu de besoins et se suffisant presque à eux-mêmes, le salaire du journalier doit être modique : loin de là, c’est la partie du département où il est le plus élevé. (Il est de 1 fr. 25 à 1 fr. 50.) Pour en découvrir la cause, il faut considérer que les demandes du travail sont relatives uniquement à l’exploitation et au flottage des bois ; qu’elles n’ont lieu qu’une partie de l’année ; que les habitants, n’étant point tourmentés par la nécessité de chercher de l’ouvrage pour leur subsistance, il ne s’établit pas entre eux de concurrence avantageuse à celui qui est obligé de les employer : de là vient le haut prix de la journée. D’ailleurs, c’est le seul canal par lequel le numéraire s’introduit et circule dans cette contrée. Enclins à l’ivrognerie, ils sont impatients de dépenser l’argent qu’ils reçoivent pour satisfaire cette passion plutôt que pour se procurer quelque aisance.

« Du reste, leurs mœurs sont aussi grossières que le pays est sauvage. Leur éducation est très négligée, pour ne pas dire abandonnée ; car on a peine à rencontrer dans chaque village un individu qui sache écrire. Ils sont d’un assez bon naturel, et dociles au joug de l’autorité : ils ont besoin seulement d’être incessamment contenus par une vigilante sévérité pour les empêcher de dévaster les forêts qu’ils étaient, pour ainsi dire, habitués à regarder comme leur patrimoine. »

Voilà des gens qui vont apprendre de M. le préfet les bienfaits du régime impérial :

« L’augmentation des salaires, ajoute M. Colchen, a été moindre dans les autres arrondissements ; leur terme moyen n’a varié que de 0 fr. 75 à 1 franc ; et dans les lieux où sont situées des manufactures et des usines, l’accroissement a été plus faible que dans ceux simplement agricoles, sans doute parce que les manouvriers, rassemblés en assez grand nombre sur un seul point, et ne profilant que très peu des pâtures et des biens communaux, sont restés à la discrétion de celui qui les faisait travailler.

« C’est d’ailleurs une vérité reconnue par cent observations locales que là où les propriétés sont réparties entre un plus grand nombre d’individus, la main-d’œuvre est plus chère ; chez les autres nations, elle n’augmente