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aux consuls qui tiennent toutes dans un seul carton des Archives[1], tant leur nombre est restreint, et alors on voit, sans discussion possible, l’immensité du terrain gagné dans la confiance générale par la politique consulaire. Pour deux anciens conventionnels, Camus et Le Cointre — « espèce de chaudron usé qui veut encore faire du bruit[2] » —qui refusèrent d’approuver la Constitution, combien d’autres signèrent au registre des oui ! Bréard, Patrin, Marec, Lalande, Merlino, Rouyer, Lequinio furent de ceux-là. Bouchotte, ancien ministre de la guerre, républicain sincère qui vécut par la suite loin des honneurs, adhéra aussi à la Constitution et, selon le terme si juste de M. Aulard[3], c’est un véritable « annuaire du Tout Paris d’alors » que l’on a sous les yeux en feuilletant les registres d’acceptation de la capitale où, d’après le Moniteur[4], il y aurait eu 10 non contre 12 440 oui.

Nous l’avons dit, les mesures heureuses qui marquèrent la fin du consulat provisoire et — il faut bien en tenir compte aussi au point de vue du plébiscite — celles qui furent prises entre le 3 nivôse et le 18 pluviôse, ont contribué à gagner les suffrages. Les commissions, avant de se séparer, votèrent, sur la proposition de Fouché et conformément au désir de Bonaparte, une loi portant : « Tout individu nominativement condamné à la déportation sans jugement préalable par un acte du Corps législatif ne pourra rentrer sur le territoire de la République, sous peine d’être considéré comme émigré, à moins qu’il n’y soit autorisé par une permission du gouvernement. » Aussitôt arrivé au pouvoir, le premier consul, armé de cette loi, et en appliquant la dernière partie, rappela les fructidorisés dont Sicard, la Harpe, Fontanes, Carnot. Ainsi, Bonaparte continuait à se présenter au pays comme le pacificateur cherchant à opérer la fusion de toutes les nuances politiques pour obtenir une « teinte nationale[5] » — et cela d’autant mieux qu’en la circonstance, il rappelait des fructidorisés en se servant d’une loi votée par des parlementaires fructidoriens !

En même temps, l’arrêté du 4 frimaire, qui soumettait à la surveillance de la police les Jacobins, d’abord proscrits le 20 brumaire, fut rapporté et, tandis que Barère[6], le vieux républicain, était amnistié, on vit revenir La Fayette, La Rochefoucaud-Liancourt, La Tour Maubourg. L’étonnement s’accroissait chaque jour à la nouvelle de ces mesures de clémence qui touchaient tous les partis. Il n’allait pas même sans une persistance d’inquiétude puisque, nous l’avons vu, le public craignait encore les proscriptions pour ceux qui refuseraient d’adhérer à la Constitution. Cependant la politique consulaire s’employait avec une constante application à bien montrer que désormais les

  1. AF iv, 1443.
  2. Ami des Lois du 2 nivôse. Cf. Journal des Hommes libres du 3 nivôse.
  3. Histoire politique de la Révolution française, p. 711. note 3.
  4. Tome XVI, p. 355
  5. Journal des Hommes libres, 8 nivôse.
  6. On se rappelle que Barère avait approuvé le coup d’état du 18 brumaire Voy. sup., p, 24.