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unissaient les peuples dans la dramatique fierté d’une énergie commune et suprême, Napoléon avait enfin compris toutes les puissances fondamentales de ce soulèvement international ; durant l’armistice, les forces des alliés s’étaient sensiblement accrues, en raison de la participation de l’Autriche, et celles du souverain français n’avaient point subi la même évolution. La cause de la coalition était celle de l’Europe entière, lasse de guerres, de déprédations, d’incessants ravages, soucieuse maintenant de briser dans un dernier effort celui qui persistait à la bouleverser. Napoléon avait pressenti l’unanimité de ce désir soudain à travers l’Europe ; c’était, à cette heure tragique, le dernier acte du drame si longtemps prolongé ; l’inévitable dénouement devenait imminent, et son approche devait donner au protagoniste altier de cette immense tragédie cette prodigieuse et frénétique exaltation que répand l’héroïsme dans le désespoir.

Trois armées formidables groupaient la majeure partie de ces forces coalisées : Bernadotte commandait l’armée du nord, forte de 180 000 hommes, Suédois, Anglais, Allemands et Russes ; la seconde armée, dite de Silésie, comprenait environ 200 000 hommes, tous Prussiens, sous Blücher, qui campaient sur les rives de l’Oder, Schwartzenberg était à la tête de l’armée de Bohême, forte de 130 000 Autrichiens. Près de 400 000 hommes, Suédois, Anglais, Allemands, Russes, répartis en maints territoires, se disposaient enfin à envahir tous les pays soumis encore à la domination française.

L’infériorité numérique des troupes de Napoléon était manifeste : 550 000 hommes suivaient ses aigles, Oudinot et Davoust, à la tête de 90 000 hommes, devait tenter de s’emparer de Berlin, tandis que Napoléon, avec une armée de 120 000 hommes allait diriger son attaque contre les armées de Bohême et de Silésie. En arrière de ces premières lignes de combattants, la garde, forte de 40 000 hommes, et d’autres contingents avaient été mis en réserve.

Les alliés avaient encore sur Napoléon l’avantage de posséder dans leurs rangs d’anciens généraux français, informés sur les méthodes tactiques de Napoléon, et dont les conseils devaient avoir les plus tristes conséquences pour nos troupes. En dehors de Bernadotte qui était le plus écouté de tous et qui avait, depuis que la fortune l’avait fait prince royal de Suède, étouffé en lui tous les souvenirs de sa première patrie, le plus célèbre était assurément Moreau, l’ancien général de la République, réfugié pendant de longues années aux États-Unis, et qui n’avait point su résister aux propositions du tsar. À la suite de la retraite de Bautzen, un autre général français, Jomini, était passé à l’ennemi et la contribution de ses talents militaires, lors de l’exécution du plan de campagne des alliés, allait avoir pour ceux-ci une grande efficacité.

Le 26 août 1813, les Français, après avoir, les jours précédents, joyeusement fêté l’anniversaire de la Saint-Napoléon, infligèrent une défaite aux