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ce dernier peuple, désireux de coopérer à la coalition, s’engageait à verser aux deux autres puissances une somme d’à peu près 100 millions, destinés à faciliter leur offensive prochaine contre la France.

D’autre part, l’Autriche que nous avons vue, à diverses reprises, se poser en médiatrice, n’avait point perdu tout espoir de conciliation. Metternich, âme perfide de ces négociations qui devaient au moment opportun provoquer la trahison de l’Autriche, se rendit à Opoçno auprès du tsar qu’il assura de la participation prochaine de son pays à la coalition. Cette coopération était néanmoins subordonnée à l’attitude de Napoléon auquel, pour la dernière fois, Metternich devait soumettre les propositions du règlement pacifique des hostilités par l’Autriche. Ces propositions de François II, sur le succès desquelles Metternich qui connaissait l’empereur ne gardait point d’illusions, consistaient dans la cession de la Suisse, de la Hollande, de l’Espagne, l’abandon de la Pologne, de la Confédération du Rhin et la reddition de toutes leurs libertés et privilèges aux villes hanséatiques. Metternich ne doutait point de l’accueil furieux qu’allait faire Napoléon à de telles conditions ; aussi bien avait-il contraint son souverain à préparer résolument l’Autriche aux éventualités d’une coopération à l’offensive triomphante de l’Europe contre la France. Ce fut le 28 juin 1813 qu’eut lieu à Dresde l’entrevue de Napoléon et de l’envoyé de François II. Cette rencontre est à tout jamais mémorable et mérite toute la place que les historiens lui accordent dans les fastes troublés et singulièrement tragiques à cette heure de la destinée impériale. La véhémence de Napoléon, le débordement de son orgueil blessé, le réveil rapide et l’indomptable élan de ses instincts dominateurs, toute l’ivresse ardente de son cœur insatiable et résolu se firent jour au long de cet entretien qui ne dura pas moins de huit heures et marqua l’avénement du plus douloureux instant de notre histoire. Napoléon tonnait contre l’Europe, majorait ses forces et ses ressources, se déclarait prêt à rouler de nouveaux canons jusqu’aux confins du vieux monde. La France n’avait-elle pas montré qu’elle était fertile en héros, en armées victorieuses ? l’Autriche ignorait-elle la fermeté et la force de celui qui promenait, de saison en saison, ses aigles souveraines à travers les peuples ? Napoléon laissa même échapper ces paroles terribles qui empruntent aux circonstances qui les provoquèrent un accent profondément dramatique et manifestent une fierté, une surhumaine énergie, une folie héroïque, un individualisme forcené et frénétique que devait exalter dans notre siècle, avec un éloquent enthousiasme, Frédéric Nietzche, le négateur des morales collectives.

Metternich déclarait : « La paix et la guerre sont entre les mains de Votre Majesté. Aujourd’hui vous pouvez encore conclure la paix ; demain peut-être il serait trop tard. »

Et Napoléon reprit : « Qu’est-ce donc qu’on veut de moi ? Que je me déshonore ? Jamais ! Je saurai mourir, mais je ne céderai pas un pouce de ter-