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par la révolution. C’était au cœur même de ces multiples États germaniques, inféodés de force à la domination française, que germaient et se développaient, avec le plus d’ardeur, ces courageux désirs d’unité et d’autonomie nationales. Les exactions des armées impériales, les déprédations infligées aux habitants, sous la forme administrative, par le gouvernement français, les spoliations de toute nature et le sentiment, unanimement éprouvé, du désordre apporté dans le monde par Napoléon avaient fait naître un frénétique besoin de délivrance qui enflammait les plus timides. Ce fut la défection d’York de Wartenburg qui mit le feu aux poudres ; l’effervescence nationale, mal contenue, éclata et trouva, pour se manifester au grand jour, des formes imprévues et multiples ; des pamphlets virulents et remplis de haine contre les Français et leur despote, des proclamations belliqueuses, des chansons satiriques se répandirent rapidement sur les territoires germaniques. Le gouvernement prussien, dans les débuts de ce mouvement, fit de son mieux pour étouffer ces provocations et tenta de se rendre maître de l’insurrection ; mais il lui fallut peu de temps pour prendre conscience de son impuissance.

Le désaveu que Frédéric-Guillaume, fort inquiet de la situation, infligea au général d’York ne ramena guère le calme dans les esprits ; les diplomates s’efforcèrent d’atténuer la gravité des incidents qui préparaient déjà un conflit inévitable entre l’Allemagne et la France, mais leurs tentatives n’eurent que d’assez médiocres effets. C’est ainsi que, dans le louable souci de dissoudre la crise présente, notre ambassadeur à Berlin, M. de Saint-Marsan, envoya au gouvernement français plusieurs appréciations empreintes d’un optimisme que les moindres incidents quotidiens légitimaient fort peu. Il assurait au département des affaires étrangères en France que l’alliance avec l’Allemagne était solide ; c’était, il est vrai, à peu près dans le temps où Frédéric-Guillaume protestait en termes pathétiques de son attachement à la France et parlait de mettre en jugement York, qu’il venait d’ailleurs de destituer de son commandement, fort solennellement, mais sans nulle efficacité.

Les prévisions d’une solution pacifique de la crise étaient cependant inadmissibles, en raison des divergences de sentiments qui séparaient, extérieurement au moins, Frédéric-Guillaume de son peuple. Le souverain, fort bien renseigné d’ailleurs sur l’opinion publique, paraît bien n’avoir point caché les éventualités que les faits permettaient de prévoir, et Saint-Marsan rapporte un entretien qu’il eut, vers cette époque, avec le roi de Prusse, qui s’était exprimé à peu près dans ces termes : « La plupart de mes sujets sont, il est vrai, indisposés contre les Français, et c’est assz naturel » ; et il ajoutait un peu plus loin : « Dites à l’empereur que pour des sacrifices pécuniaires, je ne peux plus en faire… Au reste, dans les circonstances actuelles, il est heureux que la Prusse soit tranquille, car s’il y avait une insurrection