Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nales, se rassasier du charme pénétrant de Grenade, se délasser dans les jardins de Séville, et rêver sur les blanches terrasses de Cadix pour sentir disparaître peu à peu l’impression désolante des premiers jours.

Sur ce sol dur, sur cette terre ingrate, parmi ces roches dénudées vit un peuple qui, lui aussi, a ses rudesses, ses emportements impossibles à dompter et qui refuse de s’assouplir ; peuple souvent cruel jusque dans ses plaisirs, peuple que la misère, pourtant si destructive d’énergie, n’a point encore maté, peuple habitué à la lutte et coutumier de l’effort depuis une longue suite de siècles, peuple rendu farouche par des invasions successives, péniblement repoussées ou subies sans résignation, et aussi par l’exaltation d’une foi religieuse qui ne s’affirma jamais par la bonté, la douceur et l’amour, mais uniquement par la tyrannie, la menace et les châtiments impitoyables.

Georges Lecomte, dans son livre sur l’Espagne, a admirablement défini cette empreinte du catholicisme par les lignes décisives que voici :

« Quand la persécution catholique eut chassé les Arabes qui, las de la conquête, avaient donné un admirable exemple de tolérance et d’humanité, un grand silence se fit. Leurs cités opulentes se fermèrent comme si un fléau avait tout à coup terrassé les habitants. Les vainqueurs se verrouillèrent dans ces villes, désormais vides, pour y vivre une vie de renoncement et d’inactivité. Leur mysticisme farouche ne les rendait propres qu’à un effort sanguinaire. Le catholicisme fut en Espagne une religion d’épouvante. On dirait que ce peuple, longtemps opprimé, éprouvait comme une volupté de représailles en multipliant les tortures pour assurer la toute-puissance d’un dogme dont la conservation lui avait tant coûté. La foi catholique qui, pour l’âme d’autres peuples, avait été une source d’admirable développement, ne fut comprise par ces rudes hommes que dans son sens terrible, et suscita chez eux, non pas l’exaltation qui crée, mais le fanatisme qui tue.

« Tout l’art et l’industrie d’Espagne sombrèrent dans cette dévastation. L’Idée triomphante, qui avait commis la faute de tout exterminer, ne sut rien établir. Elle épuisa en massacres une énergie passionnée. »

Ce qu’une pareille empreinte venant compléter l’œuvre de la nature elle-même, pouvait donner au peuple espagnol de farouche énergie contre le César envahisseur, présenté par les prêtres comme l’Antéchrist, il est aisé de le concevoir, et ce fut, répétons-le, l’irrémédiable erreur de Napoléon de ne l’avoir pas compris et prévu.

Mais, encore une fois, Napoléon ne pouvait s’éclairer tant était inefficace sur sa volonté tout souci de moralité, tant l’orgueil et l’ambition avaient définitivement obscurci en lui toute faculté d’examen perspicace.

Sa morale, elle est tout entière contenue dans ce mot : « Il faut distinguer les actes du souverain, qui agit collectivement, de ceux de l’homme