Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

merce. La guerre ayant repris, le régime des prohibitions commence. Un des premiers arrêtés fut celui du 6 brumaire an XII qui, tout en permettant l’importation des fils et toiles de coton, fixait les droits qu’ils devaient payer. Ces droits élevés, les manufacturiers ne les trouvèrent même pas suffisants : ils ne songeaient qu’à l’exclusion absolue. Chaptal qui n’était pas un protectionniste acharné, Chaptal, qui repoussait la prohibition comme anti-économique et anti-politique, écrivit à l’empereur un rapport sur les résultats de l’arrêté du 6 brumaire[1], en se basant sur les quatre premiers mois de l’exécution de l’arrêté. Il constate dans ce rapport que « l’introduction des toiles peintes, qui était précédemment très considérable, est presque nulle aujourd’hui. » Ces toiles se dénombrent ainsi : 1330 pièces teintes en une couleur, 84 teintes en plusieurs, et cela représente un versement de 16 131 fr. 35 de droits. « Par une conséquence naturelle, nos manufactures, n’ayant plus à rivaliser sur cet objet avec l’industrie étrangère, n’ont eu recours à elle que pour les toiles de coton blanches propres à l’impression, dont l’importation s’est élevée à 262 870 pièces, qui ont acquitté 1 693 955 fr. 63 de droits. » Chaptal constate qu’il y a eu une faible introduction de cotons filés : 6 854 kilogrammes, avec 34 218 fr. 25 de droits, « ce qui prouve incontestablement que les inquiétudes des propriétaires de filatures n’étaient pas fondées ». Il n’a été introduit que 910 pièces de mousseline, qui ont acquitté 22 855 fr. 80 de droits ». Le ministre conclut en constatant qu’il y a eu peu de contrebande[2], et qu’en somme, les effets de l’arrêté de brumaire sont bons. Chaptal, qui aurait voulu endiguer le mouvement belliqueux qui portait les manufacturière à réclamer la prohibition absolue des toiles de coton, ne devait pas lui résister. Toute l’industrie textile, dont l’importance économique est si grande, se leva pour réclamer contre l’entrée des cotons filés, même avec des droits considérables, devançant ainsi les vœux de Napoléon, qui ne songeait qu’à dresser des barrières infranchissables — ou qu’il pensait telles — entre la Grande-Bretagne et la France.

Nous avons des témoignages intéressants de la campagne qui aboutit au décret du 22 février 1806 prohibant les toiles de coton et établissant un droit de 60 francs par quintal sur les cotons en laine. Nous donnons ici quelques preuves de cette campagne protectionniste à outrance. Un mémoire du 19 frimaire an xiii[3] expose : « Dans l’état actuel, les filatures et tisseranderies, premières branches de l’industrie du coton, sont paralysées par l’introduction des cotons filés, des calicots et autres tissus anglais et 70 a 80 millions passent annuellement de France en Angleterre pour payer les toiles de la Compagnie des Indes et pour solder ainsi au prix de notre industrie

  1. Archives nationales AFiv 1060.
  2. Chaptal avait très bien vu que la prohibition absolue ne pouvait qu’encourager la contrebande. Voir son Essai sur le perfectionnement des arts chimiques en France.
  3. Archives nationales, F12 533. Mémoire de Liancourt.