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dont il s’enlace le cou, Une branche de fagot qu’il avait mise en réserve lui aide alors à exécuter son projet de suicide. Il introduit ce bâton dans les deux bouts de sa cravate, assujettis par un nœud. Il tourne ce petit bâton près des parties glandulaires du cou autant de fois qu’il est nécessaire de le faire pour clore les vaisseaux aériens ; près de perdre la respiration, il arrête le bâton derrière son oreille et se couche sur cette même oreille pour empêcher le bâton de se relâcher. Pichegru, naturellement replet, sanguin, suffoqué par les aliments qu’il vient de prendre et par la forte pression qu’il éprouve, expire pendant la nuit ».

Pitt à la découverte.
(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale.)

Telle est la version officielle. Est-elle vraie, est-elle fausse ? Les contemporains crurent à un meurtre voulu par Bonaparte désireux de voir certains secrets disparaître : il est évident que Pichegru, définitivement perdu, ne se serait pas fait faute de parler. D’un autre côté, il est permis de penser avec Michelet[1] que Pichegru « chaque année enfoncé, enterré au dixième cercle de l’enfer et de la honte… n’avait qu’un seul moyen de fuir son jugement, c’était de s’étrangler. Pour Lanfrey[2], « le mystère ne sera peut-être jamais éclairci, et l’accusation serait téméraire, mais le soupçon sera toujours légitime ». Quoi qu’il en soit, la mort de Pichegru faisait disparaître le principal témoin dans le procès contre Moreau.

Les débats de ce procès s’ouvrirent le 28 mai 1804, non pas devant le

  1. Histoire du xixe siècle, t. III, p. 126. Cf. Sorel., o. c, 354 : « Un suicide devenait la seule fin décente d’une vie brillante sur le point de sombrer dans l’ignominie. »
  2. O. c., III, 155.