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dans son n° 30, la « confiance tout à fait perdue dans les achats des biens », c’était la chute des assignats ; l’inquiétude était en outre accrue par la connaissance de la falsification du papier-monnaie à laquelle se livrait, entre autres, le noble Puisaye sous la haute protection de Pitt (chap. v).

Comme si elle avait trouvé que cette situation présentait encore ainsi trop de sécurité, la Convention semblait avoir pris pour tâche de l’ébranler davantage par des mesures contradictoires qui, en se succédant à bref délai, donnaient l’impression qu’on ne pouvait compter sur la moindre fixité de la loi. Le 13 nivôse an III (2 janvier 1795), l’exportation de l’or et de l’argent était autorisée à charge d’en faire rentrer la contre-valeur en objets de première nécessité, et, par décret du 6 floréal (25 avril), « l’art. Ier du décret du 11 avril 1793 portant que le numéraire de la République en or et en argent n’est pas marchandise, est rapporté ». À son tour, le 2 prairial (21 mai), est rapporté le décret du 6 floréal, et l’or et l’argent monnayés ne sont plus marchandises. Cependant, par décret du 13 fructidor (30 août), l’or et l’argent monnayés peuvent être vendus, mais seulement à la Bourse. Fermées le 27 juin 1793, toutes les bourses « pour la banque, le commerce et le change », avaient été rouvertes par le décret du 6 floréal.

Les premiers assignats portaient l’effigie de Louis XVI ; au moment où la France fut envahie, ces assignats dits « à face royale » firent aux assignats de la République une concurrence désastreuse, parce que, prétendaient les partisans de l’ancien régime, seuls ils seraient remboursés dès que la royauté serait rétablie. Aussi fut-il résolu, le 31 juillet 1793, qu’« à compter de ce jour » les assignats à face royale au-dessus de cent livres n’auraient plus cours de monnaie ; ils purent être versés pendant un certain temps dans les caisses publiques pour tout ce qui était dû à la nation. Des spéculateurs en avaient gardé une grande quantité à leurs risques et périls ; la majorité modérée de la Convention jugea à propos de leur venir en aide et vota, le 22 floréal (11 mai), que ces assignats — enregistrés au nom du porteur, ajouta-t-on le lendemain — seraient reçus en payement des biens nationaux ; le 27 (16 mai), elle démonétisait tous les assignats à face royale de cinq livres et au-dessus en décidant que, seulement pendant trois mois, ils seraient acceptés comme prix des domaines nationaux à vendre, ou déjà vendus, ajouta le décret du 8 prairial (27 mai). Au bout des trois mois elle permit encore, sous divers prétextes, de les utiliser.

Pour se procurer les ressources que les assignats ne pouvaient plus lui fournir, la Convention ne sut que parler et tâtonner. Depuis la loi du 10 vendémiaire an III (10 octobre 1794), en vertu de laquelle, nous l’avons vu tout à l’heure, avait été reprise la vente des biens nationaux, — je n’ai pas trouvé l’« arrêté du comité de salut public du 10 messidor » qui, d’après l’art. Ier de cette loi dont j’ai contrôlé le texte sur l’original (Archives nationales, ADX 18), avait suspendu la vente — on avait procédé à cette vente aux conditions indi-