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sentiments populaires (voir t. Ier de l’Histoire Socialiste, p. 1076), et non d’une conception quelconque de l’avenir.

Les meilleurs moyens pour empêcher l’effondrement du cours des assignats et ses conséquences étaient de restreindre les émissions au strict nécessaire, de détruire les assignats qui rentraient par suite de la vente des biens nationaux, d’éviter de déprécier par des mesures réactionnaires ou maladroites ces biens qui leur servaient de gage, de tenter assez tôt de les démonétiser peu à peu, en avertissant aussitôt les spéculateurs qu’on ne les leur échangerait contre numéraire qu’à un taux réduit d’après les cours faits par eux, mais d’autant moins réduit qu’il s’agirait de coupures plus petites, de mettre surtout de l’ordre dans l’administration et de surveiller de très près les opérations des fournisseurs. C’est tout le contraire qui se produisit. On pouvait améliorer la législation née du besoin d’assurer les approvisionnements et de limiter la spéculation ; on ne devait pas d’abord en tolérer arbitrairement la violation, puis l’abroger avant la disparition des inconvénients que, malgré tout, elle atténuait.

C’est ainsi pourtant que le gouvernement procéda. Il eut la prétention de rétablir un régime normal. Pour ce faire, il ne s’efforça nullement d’arriver à l’inutilité de mesures exceptionnelles, il se borna à supprimer la réglementation qui les rendait quelque peu efficaces : par la loi du 4 nivôse an III (24 septembre 1794), dont l’art. Ier avait été voté la veille, toutes les lois fixant un prix maximum furent abrogées. On peut évidemment critiquer ces lois ; mais ce qui prouve que, telles quelles, elles servirent à quelque chose, c’est ce qui se passa après leur abrogation : il n’est pas niable qu’après celle-ci la situation devint meilleure pour les agioteurs et pire pour la masse : les denrées ont doublé de prix depuis l’abrogation de la loi du maximum, dit le rapport de police du 17 nivôse (6 janvier). On ne cessa à la Convention de crier contre les agioteurs, et je ne contesterai pas la sincérité de ces paroles vaines. Les représentants ne furent pas leurs complices, soit ; ils furent leurs dupes et le résultat fut le même. Si les représentants ne savaient pas ce qu’ils faisaient en supprimant les lois du maximum, les spéculateurs savaient, eux, ce qu’ils faisaient en poussant de toutes les manières à leur suppression.

Par l’abrogation des lois du maximum, les thermidoriens établirent, au point de vue du commerce des marchandises, la liberté de la spéculation. Libres d’agir à cet égard, les spéculateurs ne se contentèrent pas de la hausse en quelque sorte automatique résultant pour les denrées de la baisse des assignats ; ils spéculèrent de toutes les manières sur les denrées elles-mêmes, ils allèrent jusqu’à entraver l’arrivée des vivres à Paris, tandis qu’ils en sortaient les comestibles à pleines voitures (rapport du 14 germinal - 3 avril) ; déjà le rapport du 1er ventôse (19 février) avait dit : « l’on sort le pain de Paris de toutes parts… il y a des personnes chargées de ces expéditions pour la sortie du pain ». C’était, depuis le 18 nivôse an III -7 janvier 1795 (voir chap. xi,