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fait aujourd’hui partie de la place du Carrousel, non loin du pavillon de Lesdiguières. Par décision du 22 ventôse (12 mars), il fut conduit à Arras où on l’incarcérait, le 25 (15 mars), dans la maison d’arrêt dite des Baudets. Un autre journaliste, le maratiste Lebois, avait été également arrêté et les clubs maratistes Lizowski, faubourg Marceau, Quinze-Vingts, faubourg Antoine, étaient « fermés provisoirement ».

C’est que la situation à Paris devenait grave ; la misère de la masse avait empiré, depuis que s’était produit le mouvement de réaction politique, et allait croissant à mesure que s’accentuait cette réaction favorable à une minorité. La population ouvrière parisienne peu sympathique cependant, nous l’avons vu au début du chapitre ii, à Robespierre, eut conscience de cet effet naturel du changement politique sur sa situation matérielle et les rapports de police, avec des atténuations thermidoriennes qui donnent plus de poids à leurs constatations, le constatèrent. On lit, par exemple, dans le rapport du 27 ventôse (17 mars) : « On a parlé du régime avant le 9 thermidor où les marchandises n’étaient pas aussi chères et l’argent était au pair avec les assignats. Ce n’est pas, ajoute-t-on, qu’on désire ce régime où on commettait des horreurs, mais on désirerait que l’on mît un frein à la cupidité des marchands, et que l’on ne les soutînt pas pour écraser les sans-culottes ». C’est que l’agiotage poussait à la baisse des assignats et, par suite, abstraction faite de toute autre manœuvre, à la hausse des prix des marchandises : moins les assignats avaient de valeur réelle, plus il en fallait pour payer un achat ; à mesure que leur valeur réelle diminuait, la valeur nominale exigée devenait, en effet, plus forte et les prix des marchandises exprimés d’après la valeur nominale des assignats augmentaient. D’ailleurs, la spéculation agissait directement aussi sur le prix des marchandises ; le rapport de police du 19 ventôse (9 mars) parle « des ressorts que mettent en activité, de toutes manières, les agioteurs pour ruiner et finir de discréditer les assignats ».

La Révolution avait eu recours à l’assignat, transformé bientôt en papier-monnaie, parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement. Il est très facile de la critiquer à cet égard au point de vue exclusif de la science financière ; mais, avant tout, il lui fallait vivre et assurer la défense du pays. La concurrence de l’or et de l’argent que leur supériorité incontestable faisait préférer aux assignats, entraînant pour ceux-ci une perte sur leur valeur nominale, l’État essaya d’enrayer cette concurrence en interdisant le commerce des métaux précieux qui continua, du reste, clandestinement. Afin de se rattraper de l’obligation de prendre les assignats, on haussait pour ce fait seul, en dehors même de ce qui constituait en quelque sorte l’équivalence du change, le prix des marchandises, d’où cherté toute spéciale pour ceux qui ne pouvaient payer qu’en papier et surtout pour la classe pauvre. D’autre part, la présence d’armées sur toutes les frontières et l’occupation de la mer par les Anglais