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nir dans l’Orangerie. Il leur fit voter qu’il n’y avait plus de Directoire, que 61 députés, parmi lesquels Briot, Destrem et le général Jourdan, étaient exclus de la représentation nationale, qu’il était créé « provisoirement une commission consulaire exécutive », composée de Sieyès, Roger Ducos et le général Bonaparte, « investie de la plénitude du pouvoir directorial », que le Corps législatif s’ajournait au 1er ventôse an VIII (20 février 1800), et qu’avant de se séparer chaque Conseil nommerait parmi ses membres une commission de 25 membres siégeant à Paris et chargées, à elles deux, celle des Cinq-Cents exerçant « l’initiative » et celle des Anciens « l’approbation », de préparer « les changements à apporter aux dispositions organiques ». Cette besogne était terminé à minuit. Les Anciens rentrèrent aussitôt dans leur rôle de simples approbateurs ; ils ratifièrent les décisions précédentes du Conseil des Cinq-Cents et rapportèrent le décret rendu avant sept heures lorsqu’ils avaient appris l’expulsion de ce Conseil. À deux heures du matin, les trois consuls provisoires vinrent devant ce qui représentait les Cinq-Cents prêter le serment, effronté et bouffon après ce qui venait de se passer, de « fidélité à la République une et indivisible, à la liberté, à l’égalité, au système représentatif » ; ils allèrent ensuite accomplir la même cérémonie au Conseil des Anciens ; puis les débris des deux Conseils procédèrent à la nomination des deux commission législatives et se séparèrent entre quatre et cinq heures du matin : l’hypocrisie légaliste était satisfaite à peu de frais et le coup d’État consommé à la grande joie des spéculateurs.

Intéressé, nous le savons, dans l’affaire, le fournisseur et banquier Collot, représentant de la finance la plus malpropre et digne complice de Bonaparte, resta jusqu’au dernier moment pour surveiller l’opération (Bourrienne, édition Lacroix, t. II, p. 329 à 334) : le tiers consolidé qui était à 11 fr. 38 le 17 brumaire (8 novembre), clôturait, le 18 (9 novembre), sur la nouvelle du transfert des Conseils à Saint-Cloud et de la nomination de Bonaparte, à 13 francs ; le 19 (10 novembre), avant le dénoûment, à 14 fr. 83, et la hausse allait continuer ; Collot et Cie purent largement rattraper à la Bourse leurs avances de fonds. Une partie en avait été distribuée aux soldats pour faciliter leur ralliement au sinistre cabotin dont Rœderer et quelques autres « s’efforcèrent de recoudre les phrases incohérentes » (Sorel, L’Europe et la Révolution française, 5e partie, p. 486), afin d’essayer, par les journaux, de donner le change sur son véritable rôle au pays et à l’histoire.

Gabriel DEVILLE.