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latif donnât son assentiment à cette combinaison, et certains des conjurés se rendaient parfaitement compte de la difficulté de l’obtenir : le soir du 18 brumaire, les membres du Conseil des Anciens étaient plus hésitants que la veille ; Cornet assure (Notice historique sur le 18 brumaire, p. 12) que « les trois quarts de ceux qui avaient concouru à l’événement du matin auraient voulu pouvoir reculer ».

La réunion des Conseils à Saint-Cloud était fixée à midi. Les préparatifs pour l’aménagement des locaux la retardèrent, du moins pour les Cinq-Cents, jusque vers deux heures. On avait destiné aux Anciens la galerie d’Apollon que précédait le salon de Mars ; ces deux salles tenaient tout le premier étage de l’aile du palais qu’on avait à sa droite en tournant le dos à la Seine. Les Cinq-Cents étaient relégués à l’Orangerie du château, qui était la prolongation de cette aile du côte des jardins, elle a été démolie en 1862 ; quant au château, incendié le 13 octobre 1870, il a complètement disparu en 1891. Bonaparte était arrivé à la tête de son état-major avant l’ouverture et, depuis le matin, la petite ville était occupée militairement. Dans cette matinée du 19 (10 novembre), Savary fut prévenu (Mon examen…, p. 26 ; « qu’une partie seulement de la garde se rendait à Saint-Cloud, que l’on avait choisi pour former ce détachement les hommes les plus disposés à une obéissance passive, qu’on avait eu soin de les bien régaler… La cour était un véritable camp ; infanterie, cavalerie, artillerie, état-major nombreux, rien ne manquait à l’attirail militaire. On peut dire que si la représentation nationale était menacée, comme on l’avait annoncé avec tant d’emphase, elle se trouvait, dans le moment, bien gardée, puisqu’elle était cernée de tous les côtés ».

L’organe de l’opposition jacobine, le Journal des hommes libres qui, supprimé par l’arrêté du 17 fructidor-3 septembre (fin du chap. xx), avait aussitôt reparu sous le titre l’Ennemi des oppresseurs de tous les temps, et qui, depuis le 5 brumaire (27 octobre), était intitulé Journal des hommes, donnait, dans le compte rendu du Corps législatif de son n° du 19 brumaire, sous la rubrique « Révolution », un simple récit des faits sans le moindre commentaire ; à la quatrième page, il publiait les proclamations de Bonaparte aux soldats et à la garde nationale, et, aussi mal renseigné que peu perspicace, se bornait à ajouter : « L’on annonce la démission des directeurs Moulin, Gohier et Barras, et l’on indique aux députés qui se réuniront demain à Saint-Cloud, Talleyrand-Périgord, Marescot et Berthier pour les remplacer ». Mais les conversations entre députés des deux Conseils qui eurent lieu dans la matinée du 19 (10 novembre) à Saint-Cloud, en attendant que les locaux fussent prêts, avaient, comme celles de la veille au soir, à Paris, contribué à ébranler la majorité des Anciens et à accroître l’hostilité de celle des Cinq-Cents. À aucun de ceux qui avaient cru ou fait semblant de croire à la conspiration jacobine, il n’était possible d’alléguer un fait à l’appui de cette croyance ; aux questions de plus en plus pressantes, ils ne pouvaient