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lariser l’emprunt de 100 millions en le soumettant à une répartition juste et constitutionnelle ». À cet effet, il proposait de le remplacer par l’imposition de cinq décimes par franc aux cotes de la contribution foncière, de la contribution personnelle, mobilière et somptuaire, à l’exception de celles « qui n’excèdent pas le prix de trois journées de travail », de la contribution des patentes à l’exception de celles « de 40 francs et au-dessous ». Il paraissait disposé au besoin à réduire cette imposition de cinq décimes par franc, c’est-à-dire de moitié, à trois décimes.

Le 17 brumaire (8 novembre), un député du Lot, Soulhié, prononçait dans cette discussion un très intéressant discours qu’on a l’habitude de passer sous silence et qui dévoilait les manœuvres « patriotiques » des modérés pour laisser généreusement aux autres l’honneur de contribuer à la défense nationale à la fois de leur bourse et de leur vie. « La seule proposition, dit-il, de rapporter la loi du 10 messidor a produit dans la République un effet si affligeant que vous ne l’adopterez pas sans les plus mûres réflexions. La loi du 10 messidor doit être envisagée sous le rapport des circonstances au sein desquelles elle est née… La loi sur l’emprunt forcé fut la suite de la périlleuse nécessité où nous avait plongés un gouvernement déprédateur dont l’influence liberticide, un moment détruite par un événement, avouée de la nation entière, paraît vouloir renaître aujourd’hui et préparer de nouvelles catastrophes… Je ne reconnais que trop l’existence de tous les maux qui nous assiègent ; mais je ne les attribue pas uniquement à l’emprunt forcé. Dans l’état où nous sommes, toute autre mesure aurait produit les mêmes effets. La paix est dans tous les cœurs, tout le monde la désire ; on doit reconnaître qu’un dernier sacrifice est nécessaire pour l’obtenir. Tout le mal que pouvait produire l’emprunt est fait ; on a pris tous les masques, supposé toutes les privations pour vous faire croire la loi inexécutable ; persévérez, et elle sera exécutée. La loi, dit-on, a peu produit de rentrées. Je le crois ; certains journaux demi-officiels ne cessent de l’attaquer ; car aujourd’hui il est plus facile de provoquer à la désobéissance d’une loi que de railler un magistrat ; des représentants du peuple, journalistes, ont écrit contre elle, des fonctionnaires, connus par leur opposition à cette loi, ont été chargés de son exécution… Que le pouvoir exécutif vous seconde, et la loi sera exécutée… Les bons citoyens sont punis de leur empressement à payer, les mauvais, récompensés de leur négligence ou de leur refus. Enfin qu’on me présente à la place de l’emprunt une mesure qui ait ses résultats productifs et non ses dangers, je l’adopte ». Le Conseil renvoya la suite de la discussion au lendemain ; mais, le lendemain, ce devait être le coup d’État.

Suivant Arnault (Souvenirs d’un sexagénaire, t. IV, p. 353), « l’affaire qui avait été plusieurs fois remise, semblait devoir éclater définitivement le 16 brumaire ; tout était prêt le 15 au soir ». Ce soir-là, après le banquet de Saint Sulpice, il y eut réunion chez Bonaparte ; on y vit Gohier, Fouché,