Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/579

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des financiers. « Il est certain que de l’argent fut répandu ; d’où venait-il ? Bonaparte avait rapporté d’Italie plusieurs millions », écrit (L’avènement de Bonaparte, p. 282-283) M. Vandal qui oublie de nous dire si ces millions provenaient d’économies réalisées sur ses appointements par ce général désintéressé, et qui ajoute d’après un « renseignement particulier » (Idem p. 283-284) : « Bonaparte ne dédaignait pas de mettre lui-même la main aux négociations. Un soir, il s’en fut mystérieusement dîner chez le banquier Nodler, dans sa maison de Sèvres, et en revint très content ; le plaisir d’une villégiature automnale ne suffit pas à expliquer cette satisfaction… La connivence des capitaux mobiliers fut acquise ». Divers fournisseurs firent des avances. Collot « donna cinq cent mille francs en or » (Bourrienne, édition Lacroix, t. II, p. 79). « Le nerf de tout, l’argent, était fourni par Collot et consorts qui avaient ramassé des millions en Italie. Collot, accusé d’avoir puisé dans la caisse de l’armée, avança les fonds ; il avait loué une maison à Saint-Cloud où se réunirent les meneurs du coup d’État pendant la journée du 19. Tout ceci fut vite divulgué » (Lettres de Mme Reinhard à sa mère, p. 107, et Bourrienne, Idem, p. 320). Le matin du 18 brumaire, Ouviard offrait des fonds (lettre publiée dans le Temps du 5 mai 1900).

En dehors des relations personnelles de Bonaparte avec divers fournisseurs, ceux-ci eurent, paraît-il, un intérêt immédiat à le soutenir. Delbrel, membre du Conseil des Cinq-Cents, raconte, en effet, qu’à la fin de vendémiaire il proposa à une commission de ce Conseil de « suspendre, pour un temps limité, le cours et l’effet des délégations que le Directoire exécutif avait délivrées, pour des sommes énormes et par anticipation, à des fournisseurs qui ne firent aucun ou presque aucun service et qui, d’après la déclaration écrite du ministre de la Guerre, avaient cessé depuis quatre mois toute espèce de fourniture, en telle sorte que les armées ne subsistaient plus que par des réquisitions faites dans les pays occupés par elles et dans les départements français. Cependant, les entrepreneurs généraux et leurs agents, au moyen des délégations dont ils étaient porteurs, continuaient d’absorber tous les fonds qui rentraient journellement dans les caisses des receveurs des départements… En conséquence, Destrem, l’un des membres de la commission, fut chargé de présenter au Conseil des Cinq-Cents un projet de résolution en vertu duquel la Trésorerie nationale était autorisée à prélever, par forme d’emprunt, une somme de cinquante millions sur les contributions arriérées dont le produit avait été spécialement affecté et destiné au payement des délégations. Pour parer le coup dont ils étaient menacés, les financiers porteurs de délégations s’agitèrent beaucoup ; ils firent imprimer et distribuer des mémoires pour empêcher l’adoption de cette mesure. On était même parvenu à en changer ou modifier la rédaction. Mais, sur une réclamation et les développements que je donnai en comité secret, la résolution fut définitivement adoptée dans la séance du 7 brumaire an VIII. Elle fut