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du Conseil, pour échapper au « coup d’État » qu’avec raison ils accusaient Sieyès de préparer, et dont Briot avait parlé à la tribune dès le 17 fructidor (3 septembre), étaient tout disposés à favoriser un coup d’État de Bonaparte au profit de leurs idées. C’est ce qu’a avoué le gênéral Jourdan, dans l’extrait de ses Mémoires sur le 18 brumaire déjà cité (Le carnet historique et littéraire, t. VII, p. 164-165).

La Notice sur le 18 brumaire par un témoin, parue en 1814, et qu’on s’accorde à attribuer à un ancien membre des Cinq-Cents, Combes-Dounous, parle d’un « complot de Jacobins » (p. 17-18) devant éclater dans la nuit du 16 au 17 brumaire (7 au 8 novembre). On en donne comme preuve un mot de Briot qui, se trouvant à dîner, le 16 brumaire (7 novembre), avec son collègue Jacqueminot, lui dit, à propos d’un débat entamé devant le Conseil, que la discussion serait close le lendemain « à moins que nous n’ayons du nouveau cette nuit ». On assuré que sur ce mot, immédiatement rapporté par Jacqueminot à Sieyès, celui-ci prévint Bonaparte et que des précautions furent prises. En tout cas, les prétendus conjurés ne pouvaient avoir deviné cet incident et l’auteur reconnaît cependant qu’il n’y eut absolument rien, que « la nuit fut tranquille ». Qu’il y ait eu des conciliabules de Jacobins, que le mot de Briot ait été dit, c’est fort possible ; mais tout cela ne devait évidemment se rapporter qu’aux velléités d’action concertée avec Bonaparte ; on verra plus loin que c’est à l’heure même où Briot s’exprimait ainsi, le 16 brumaire (7 novembre), que Bonaparte déclarait à Jourdan ne pouvoir agir avec lui et ses amis, c’est-à-dire avec les Jacobins, parce qu’ils n’avaient pas la majorité. Briot qui ignorait encore cette conversation pouvait tout naturellement croire au contraire que tout allait bien à son point de vue et était prêt, parce que, nous le constaterons plus loin par une citation d’Arnault, l’affaire avait été fixée d’abord au 16 (7 novembre). De plus, ni Arnault, ni aucun des amis de Bonaparte n’a signalé cette alerte, ce qu’ils n’auraient pas manqué de faire si Bonaparte avait pris au sérieux l’avertissement de Jacqueminot à Sieyès, puisqu’il y aurait eu là pour eux un argument en faveur de la réalité de la conspiration jacobine imaginée par eux. En fait, il n’y eut, et il est triste que pareille chose ait pu se produire, que des pourparlers de certains Jacobins avec Bonaparte pour une action commune.

Si, le 18 brumaire (9 novembre), on devait arguer d’un complot imaginaire des Jacobins, c’est qu’on n’avait rien de vrai à leur reprocher efficacement, c’est que même les fautes commises par eux, et que j’ai signalées, n’avaient pas sur l’opinion publique l’influence qui leur a été attribuée depuis. La preuve, une preuve formelle, est fournie par un rapport du ministre de la police, Fouché, remis par lui au Directoire le 12 vendémiaire an VIII (4 octobre 1799). Dans ce rapport, Fouché signale les manœuvres des agents de la réaction pour agir sur le pays : « l’inactivité du commerce, la pénurie du numéraire, le poids de l’impôt et l’appel des conscrits, voilà leurs grands