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M. Aulard, t. V, p. 653), il faut constater que ce vote fut la cause d’attroupements assez nombreux qui manifestèrent leur mécontentement aux cris de : « À bas les voleurs, les Chouans, les traîtres ! À bas Sieyès et Barras ! Nous n’avons que 171 bons représentants ! » (Idem, p. 730). Le journal jacobin, L’ennemi des oppresseurs de tous les temps, chercha bien alors à prouver que Sieyès se trouvait dans le même cas que Treilhard (chap. xvii, § 2, et chap. xx) ; en fait, il n’y avait là qu’une mauvaise chicane qui n’aboutit pas.

Le même jour (14 septembre) avait été exécutée une décision prise la veille, en cachette de Gohier et de Moulin, par les trois autres membres du Directoire : Bernadotte qui soutenait les républicains avancés, à qui sa fonction, en outre de son nom, donnait de l’influence sur l’armée, mais qui n’avait pas l’esprit de décision que lui supposait Sieyès, se voyait enlever le ministère de la Guerre confié par intérim — cela devait durer dix jours — à l’ancien ministre Milet-Mureau. L’émotion qu’excita ce procédé fut si vive que Sieyès comprit qu’en voulant être trop adroit, il avait commis une maladresse. Afin de l’atténuer, il accepta, pour successeur de Bernadotte, un républicain de même nuance, Dubois-Crancé. Cet ancien Conventionnel, calomniateur de Babeuf (chap. xiii), redevenait ainsi le collègue de Robert Lindet que, le 9 prairial an III (28 mai 1795), il avait, étant alors un féroce thermidorien, contribué à faire décréter d’arrestation (chap. vii). Comme, à la fin de la séance du 28 (14 septembre) en apprenant la révocation de Bernadotte, on parlait aux Cinq-Cents de « coup d’État », Lucien Bonaparte, qui complotait déjà avec Sieyès, s’écria, pour calmer les soupçons : « Si une main sacrilège voulait se porter sur les représentants du peuple, il faudrait penser à leur donner à tous la mort avant que de violer le caractère d’un seul », et il rappela qu’un texte légal mettait « hors la loi quiconque porterait atteinte à la sûreté de la représentation nationale » ; il devait, avant deux mois, avoir l’occasion de prouver toute la loyauté de cette attitude.

À peine le principe de l’emprunt forcé avait-il été établi par la loi du 10 messidor an VII (28 juin 1799), que le ministre des finances convoquait un certain nombre de gros banquiers et de gros négociants, entre autres Perrégaux, Fulchiron, Mallet, Germain, Sévennes, Sabathier, Marmet, Thibon, pour se concerter avec eux sur les moyens de suppléer à l’épuisement du Trésor public. Les crédits ouverts pour l’exercice de l’an VII avaient atteint 735 millions, tandis que les recettes n’étaient montées qu’à 448 195 118 francs (Ganilh, Essai politique sur le revenu public, t. II, p. 179). On convint, après plusieurs réunions, de constituer un syndicat qui, le 19 thermidor (6 août), le jour même où fut votée la loi réglant le mode de perception de l’emprunt, mit à la disposition du gouvernement 30 millions de bons ou billets, de 20 jours à 120 jours de date, à valoir sur les recettes futures (Moniteur des 19 et 20 thermidor-6 et 7 août). Une commission, composée des quinze principaux souscripteurs, devait, d’accord avec le ministre, surveiller l’émission et la ren-