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xiii) et professeur d’histoire à l’école centrale de Versailles (chap. xi, § 4), publia tout au début de l’an VIII une brochure « Sur les moyens d’arracher la République à ses puissants dangers et d’écarter les obstacles qui s’opposent à raffermissement de ses destinées ; il n’avait rien abandonné des idées qui font de lui un des précurseurs du socialisme, et il écrivait (p. 10) :

« Pour un droit vrai de propriété, seul avoué par l’immuable justice, combien de criantes usurpations, combien d’audacieuses, de sacrilèges violations de ce droit n’empruntent pas son nom pour le dépouiller lui-même de son caractère sacré et s’en revêtir exclusivement… Qu’il suffise d’avoir fait sentir à tout esprit juste et sensé que le culte que l’on rend à la propriété est, en général, un culte faux, idolâtre, et que ceux qui la défendent avec tant de chaleur, qui s’en rendent les apologistes avec un zèle si outré, qui, au moindre mot qui les choque, sonnent aussitôt l’alarme et crient à l’agrairisme, à l’attentat contre la propriété, ne sont rien moins que les plus grands ennemis du vrai droit de propriété, c’est-à-dire de cette justice naturelle dont il émane. Consentons néanmoins d’user de ménagement à leur égard ; ne faisons pas trop briller à leurs yeux cette justice qui les offusque et les irrite, et contentons-nous de la leur montrer dans un assez grand éloignement pour qu’ils puissent la supporter. En conséquence, ne prenons que les moyens qui nous sont devenus indispensablement nécessaires… pour asseoir enfin la République sur de solides et désirables bases ».

Quelle différence avec Bach qui croit immédiatement et intégralement réalisable ce qui lui semble vrai ! Dolivier, lui, aussi communiste que Bach pouvait l’être, a conscience des difficultés pratiques ; pour l’instant, d’ailleurs, il voit avant tout le danger que court la République, vaincue au dehors au moment où il écrivait, menacée au dedans par le désordre des finances, etc., et c’est la République qu’il veut d’abord sauver. Que tous les moyens qu’il indique à cet effet fussent d’une application possible, cela je ne le pense pas ; mais il ne me paraît pas niable qu’il avait un tout autre esprit politique que Bach.

Telle est la constatation que je tenais à faire pour deux des principaux amis directs de Babeuf. Cependant, avant d’en revenir au discours de Bach et à la suite de mon récit, j’achèverai ici de dire ce que je sais au sujet de Dolivier. L’excuse de cette digression est que ces détails bien insuffisants n’ont encore été, je crois, donnés nulle part.

Dans la brochure signalée plus haut, Dolivier a pu se tromper sur la valeur de certains des moyens qu’il préconise, il s’est certainement trompé sur la valeur de l’homme en qui il avait confiance. Cet homme, c’est Sieyès. Dolivier connaît les « desseins désastreux pour la liberté » (p. 29) qu’on lui attribue, les accusations dont il est l’objet, notamment l’intrigue qu’on lui prête avec le roi de Prusse (p. 33 et 50), et dont je reparlerai dans le chapitre suivant. « l’expulsion de la réunion formée au Manège, et ensuite sa