Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/552

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qui est encore plus grave pour un parti dans cette situation, il n’avait pas conscience de cette infériorité ; il ne chercha pas, dès lors, à la corriger. C’est, a écrit Cabet dans son Histoire populaire de la Révolution française (t. IV, p. 232), « une fatale erreur de dire que les principes sont tout et les hommes rien. Comme si les principes marchaient sans des hommes qui les fassent marcher ! comme si la question n’était pas toujours de bien distinguer quel est le véritable principe applicable dans la circonstance ! comme si les thermidoriens, les aristocrates, les contre-révolutionnaires, n’invoquaient pas sans cesse les principes pour perdre les principes ! » Ces réflexions de Cabet sont toujours vraies, quoi qu’en disent ceux qui, envieux de certains hommes, cherchent à les atteindre en se faisant contre eux les défenseurs dogmatiques de formules vides ou les serviles courtisans de collectivités jalouses.

Les Jacobins ressuscités s’étaient réunis dans la salle du Manège, local dépendant du palais des Tuileries réservé au Conseil des Anciens, à partir du 17 messidor an VII (5 juillet 1799) d’après le recueil d’Aulard, Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire (t. V. p, 609), citant le Journal du soir des frères Chaignieau qui, sous la date du « 19 messidor » (7 juillet), dit : « avant-hier » ; à partir du 18 messidor (6 juillet), d’après le Moniteur du 21 (9 juillet) qui, sous la date de la veille, dit également : « avant-hier », et aussi d’après La Société des Jacobins d’Aulard (t. Ier, p. cii) et la revue la Révolution française (t. XXVI, p. 389). Les Jacobins n’avaient cependant pas osé reprendre leur ancien titre et s’étaient appelés « réunion d’amis de la liberté et de l’égalité ». On était encore tout près du moment où Jacobins et modérés de gauche avaient agi de concert ; aussi, comme pour la presse, le gouvernement laissa faire. D’ailleurs, afin de lui faciliter la tâche et de n’avoir pas l’air de violer ouvertement les dispositions légales (art. 362 de la Constitution), on eut recours à d’étonnantes chinoiseries. Il n’y eut ni président, ni secrétaires, mais un « régulateur » et des « annotateurs » ; on ne rédigea pas des pétitions collectives, mais des adresses ; il n’y eut pas deux catégories de membres, mais une « commission d’instruction publique », qui fut, en réalité, une commission exécutive ; il n’y eut pas, en province, organisation de sociétés affiliées, mais constitution spontanée dans la plupart des grandes villes de réunions identiques. M. Aulard admet (revue la Révolution française, idem) que les membres de la réunion du Manège furent bientôt au nombre de 3 000, dont 250 membres du Conseil des Cinq-Cents. Le Journal des hommes libres, qui reparaissait sous ce titre depuis le 1er messidor an VII (19 juin 1799), et où Antonelle avait ordre d’être prudent, était leur organe officieux. Parmi les inspirateurs, on remarquait Drouet, Félix Lepeletier, Bouchotte, Xavier Audouin, gendre de Pache, le général Laveaux, Augereau, Prieur (de la Marne) ; parmi les membres, se trouvaient d’anciens Égaux tels que Bodson, Bouin, que la Haute Cour de Vendôme avait condamné par contumace, Didier, Tissot, Vaneck. La jeunesse royaliste