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Mais les chefs de ce mouvement n’étaient plus que les serviles imitateurs de la grande période révolutionnaire, croyant agir parce qu’ils répétaient les formules de cette période et impuissants à concevoir l’action que les circonstances exigeaient. Dans la situation grave où le pays se trouvait, leur plus grande préoccupation fut d’obtenir la mise en jugement des directeurs évincés. Incontestablement, au point de vue général, ceux-ci, avec leur politique de bascule, démoralisante dans tous les sens du mot, avaient été très nuisibles. Michelet (Histoire du dix-neuvième siècle, t. II, p. 330 et 331) a beau défendre avec chaleur La Revellière-Lépeaux, il ne suffit pas de n’avoir pas retiré personnellement d’illégitimes avantages pécuniaires de l’exercice du pouvoir pour échapper à toute culpabilité. Se laissant à tort accaparer par une animosité justifiée contre les anciens directeurs, dans tous les actes de ceux-ci les Jacobins cherchèrent des motifs d’accusation ; ils en arrivèrent à faire inconsciemment le jeu de Bonaparte, en contribuant à accréditer la légende que l’expédition d’Égypte n’avait été qu’une machination des membres du Directoire contre lui. Déjà en brumaire an VII-fin octobre 1798 (Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, t. V, p. 179), ils avaient présenté l’expédition d’Égypte comme un exil de Bonaparte ; cela avait pris et, dans le compte des opérations du Bureau central de Paris, en messidor an VII (juin-juillet 1799), on lit : « De tous côtés, Buonaparte, dans sa mission, a été considéré comme exilé ; on a dit même que cette seule expédition suffirait pour motiver la mise en jugement de ceux qui l’avaient ordonnée » (Idem, p. 633). C’est ainsi que le prétendu « héros » fut transformé en victime d’un « coup de politique » (Idem, p. 324) de gouvernants détestés, accusés d’avoir, pour obéir à Pitt, ordonné « la déportation » (discours de Briot aux Cinq-Cents, le 12 fructidor-29 août) du meilleur serviteur de la République, du général le plus capable de lui assurer la victoire, d’où résulta pour celui-ci un accroissement de popularité.

L’acharnement des Jacobins à réclamer la mise en jugement des anciens directeurs, de leur ancien ministre Scherer et de leurs créatures, illogique dès l’instant qu’ils n’avaient pas renversé Barras, inquiéta celui-ci, très justement porté à craindre, s’il y avait procès, d’être bon gré mal gré impliqué dans les poursuites. Éloigné par là des deux membres avancés du Directoire, Gohier et Moulin, il se trouva rejeté du côté des deux modérés, Roger Ducos et Sieyès, au moment où, pour avoir la majorité dans le Directoire, ce dernier, tout en ne l’aimant guère, avait besoin de s’entendre avec lui. Tandis que Sieyès se préparait à éliminer les Jacobins, qui n’étaient plus dirigés par des capacités influentes, et que, à peu près sûr des Anciens, il entamait des pourparlers avec certains députés en vue des Cinq-Cents, tels que les frères de Bonaparte, le parti jacobin, s’exagérant sa force réelle, se mit à faire plus de bruit pour des puérilités que de besogne adaptée aux nécessités immédiates. Il n’avait plus à sa tête que la petite monnaie de ses anciens chefs et,