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du message du Directoire annoncé la veille, qui ne contenait pas le moindre renseignement et se bornait à réclamer le vote de crédits urgents, les Cinq-Cents maintinrent leur permanence et dressèrent la liste de dix noms pour le remplacement de Treilhard, ; le soir, Gohier fut élu par les Anciens ; c’était un ancien membre de la Législative, honnête homme et républicain sincère.

Par cette mesure habile, la coalition des opposants avait pour elle deux directeurs : Gohier et Sieyès ; deux autres, La Revellière-Lépeaux et Merlin (de Douai), étaient contre elle ; le cinquième, Barras, ne pensait qu’à défendre sa situation personnelle en se mettant du côté des plus forts. Il dépendait de lui de donner la majorité dans le Directoire à un parti ou à l’autre, et il se peut qu’il ait un instant songé à renouveler contre le Corps législatif le coup du 18 fructidor. C’est ce que prétend Cambacérès dans ses Éclaircissements inédits cités par M. Albert Vandal (L’avènement de Bonaparte, p. 73, note).

La Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein et du baron Brinkman, par Léouzon Le Duc, dit que le Directoire « fut doublement embarrassé à choisir ses moyens de défense. Le plus simple lui parut un coup de main pour mutiler encore une fois le Corps législatif ; mais, comme Barras, leur seul et véritable chef en Fructidor, ne s’y prêta, cette fois-ci, que pour approfondir leurs desseins, tous leurs projets restèrent sans exécution et Sieyès arriva, heureusement pour son parti, assez à temps pour admettre Barras à des délibérations plus précises et pour surveiller les mesures de ses autres collègues » (p. 285). D’autre part, dans les Réponses de La Revellière aux dénonciations portées au Corps législatif contre lui et ses anciens collègues (15 thermidor an VII-2 août 1799) et insérées à la suite de ses Mémoires (t. III, p. 165), on lit au sujet de l’accusation d’avoir voulu faire contre la représentation nationale un coup d’État militaire : « Quant à moi, je déclare formellement que je n’ai ni fait ni entendu faire, à quelque militaire que ce soit, la proposition dont on parle, que je n’en ai aucune connaissance et que je n’ai jamais eu l’intention de la faire ». Quoi qu’il en soit, Barras s’aperçut (Mémoires, t. III, p. 361) que « militaires et députés parlaient de prêter main forte au parti qui voulait décidément l’expulsion de Merlin et de La Revellière) ; les soldats, en effet, étaient les premiers à protester contre l’administration de l’ancien Directoire et les escroqueries des fournisseurs dont ils avaient souffert ; aussi estima-t-il plus prudent d’entrer dans le jeu de Sieyès contre les deux autres. Ce qui est certain, c’est qu’il y eut des velléités de coup d’État de la part des modérés inclinant à droite, qui avaient été victimes du 18 fructidor. Dans la Correspondance inédite de La Fayette, précédée d’une étude par M. Jules Thomas, on lit (p. 177) : « Quelques jours avant le 30 prairial, des propositions lui [à La Fayette] avaient été faites au nom de Carnot par un officier envoyé d’Amsterdam qu’il rencontra à Utrecht et, trop défiant encore ou mal informé des chances du coup d’État, il avait fait