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le désordre de ses finances, l’état de crise des affaires, donnaient une très grande force. En dehors de la tourbe des gens en place et des spéculateurs de tout acabit qui se moquaient plus ou moins ouvertement de la République, tout le monde était mécontent. Nombreux étaient ceux qui, effarés par les revirements du Directoire frappant tantôt à droite, tantôt à gauche, avaient peur de se compromettre. Cette crainte développée par la versatilité du Directoire, combinée avec la tendance de celui-ci à tout mener au gré de ses intérêts, à commander seul partout, avait peu à peu abouti à une centralisation administrative de fait. Les commissaires du Directoire près des administrations municipales et départementales, et principalement ces derniers qui correspondaient directement avec le ministre de l’Intérieur, s’étaient, après être devenus, en leur qualité d’agents du pouvoir exécutif, les véritables maîtres dans leur ressort, transformés en simples exécuteurs des volontés de l’administration centrale à laquelle ils avaient de plus en plus pris l’habitude de soumettre toutes les affaires.

Déjà, à la suite des atrocités cléricales et royalistes de la Terreur blanche (chap. viii), l’affaiblissement qui en était résulté pour le parti démocratique par l’assassinat des chefs locaux, c’est-à-dire des hommes d’initiative, et par la peur du même traitement contribuant à supprimer chez les autres toute velléité d’action, avait été cause que, dès le début du Directoire, s’était manifestée une répulsion très marquée à participer aux affaires publiques. Dans un rapport au ministre de l’Intérieur de fin brumaire an IV (novembre 1795), on lit : et l’organisation des administrations municipales devient de plus en plus difficile. Les agents élus refusent d’accepter et ceux qui avaient accepté donnent leur démission » (recueil d’Aulard, t. II, p. 392). Un rapport « contemporain des commencements du Directoire » (Rocquain, L’état de la France au 18 brumaire, p. 357, note) dit : « Les administrations municipales ne s’organisent qu’avec peine. Dès qu’elles sont formées, la plupart des agents donnent leurs démissions, et on peut dire que l’écharpe tricolore ne paraît plus qu’un fardeau repoussé même avec dédain. Cependant, c’est sur ces administrations municipales que s’élèvent et reposent les administrations supérieures… Il serait bien affligeant d’être réduit à penser que le défaut de traitement accordé aux agents nationaux soit une des causes de la difficulté qu’éprouve l’établissement des administrations municipales. En 1790, 1791 et 1792, nous avons vu nos concitoyens briguer à l’envi ces fonctions gratuites et même s’enorgueillir du désintéressement que la loi leur prescrivait »(Idem, p. 368-359, 362). Dans un « tableau de la situation politique de la République dans l’intérieur », probablement « rédigé dans les premiers temps du Directoire », on remarque que l’« éloignement pour les fonctions publiques… se retrouve dans beaucoup de points de la République » (Idem, p. 367, note, et 358). Pour les municipalités, en particulier, l’accroissement d’un travail sans rémunération, résultant de leur organisation cantonale par la Constitution de