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société fussent appelés à en jouir, je ne dis pas éventuellement, fortuitement, mais certainement, mais infailliblement » (Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, t. IV, p. 111).

Après deux nouveaux assauts (18 et 21 floréal-7 et 10 mai) infructueux malgré l’héroïsme des soldats qui, les deux fois, pénétrèrent dans la place, la nouvelle, d’une part, du prochain embarquement à Rhodes d’une armée turque de 18 000 hommes destinée à l’Égypte ; d’autre part, d’un soulèvement dans la Basse Égypte, triompha de son orgueilleuse et folle obstination ; il se résolut, le 28 (17 mai), à lever le siège. Plus tard, songeant à son rêve de domination orientale ou d’empire méditerranéen, il devait répéter souvent (voir notamment le Mémorial de Sainte-Hélène, à la date des 30 et 31 mars 1816) qu’il avait manqué sa fortune à Saint-Jean-d’Acre. Au même moment, Tippoo-Sahib sur le concours duquel il avait compté pour son œuvre chimérique, était vaincu et tué par les Anglais (4 mai 1799) à Seringapatam, à une quinzaine de kilomètres au nord de Maïsour.

Dans la nuit du 1er prairial (20 mai), Bonaparte reprit la route de Jaffa, où il arriva le 5 (24 mai). La peste qui avait débuté pendant le premier séjour à Jaffa — « les Pères de la Terre Sainte s’enfermèrent et ne voulurent plus communiquer avec les malades » (Désiré Lacroix, Bonaparte en Égypte, p. 278) — faisait de terribles ravages, le moral des troupes était très abattu. Desgenettes chercha, pour rassurer les soldats, à cacher la nature de la maladie et à en nier la contagion ; mais il ne s’inocula pas le mal, ainsi que le prétend une légende que, par la suite, il a laissé s’accréditer (Histoire médicale de l’armée d’Orient, p. 87) ; seulement, d’après Larrey (Dominique Larrey et les campagnes de la Révolution et de l’Empire, par M. Paul Triaire, p. 249, note), « il en a fait le simulacre en essuyant une lancette imprégnée de pus sur son bras ». Dans son Histoire que je viens de citer, Desgenettes raconte (p. 245) que, le 27 floréal (16 mai), Bonaparte le fit appeler et l’engagea à terminer les souffrances des pestiférés « en leur donnant de l’opium » ; il refusa et il ajoute (p. 246) qu’à sa connaissance ce n’est qu’au retour à Jaffa « que je puisse attester que l’on donna à des pestiférés, au nombre de 25 à 30, une forte dose de laudanum ». Larrey (Paul Triaire, Idem, p. 257) a sur ce point écrit : « Le récit de Desgenettes, confirmé par Napoléon, est exact. Bonaparte lui proposa réellement d’empoisonner les malades qu’il laisserait à Jaffa ».

L’armée quitta Jaffa le 9 prairial (28 mai), et l’arrière-garde avec Kleber le lendemain. Pendant la retraite, Bonaparte dévasta systématiquement le pays parcouru, afin d’entraver toute poursuite. Après de grandes fatigues on campa à El Arich le 14 (2 juin) et, le 26 (14 juin), Bonaparte rentrait au Caire. Aux petites révoltes de villages, s’était ajouté, pendant son absence, un soulèvement fomenté par un imposteur qui, en se donnant pour « madhi », c’est-à-dire pour un envoyé de Dieu, avait fanatisé quelques milliers d’Arabes