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1798), les causes de l’expédition auraient été les « exactions extraordinaires » des beys et, en particulier, de Mourad, « soudoyés par le cabinet de Saint-James », contre les négociants français. Après avoir allégué des faits qui, même exacts, n’en étaient pas moins, en la circonstance, des prétextes hypocrites, le Directoire essayait de défendre sa conduite : « Qu’on ne dise pas qu’aucune déclaration de guerre n’a précédé cette expédition. Et à qui donc eût-elle été faite ? à la Porte ottomane ? Nous étions loin de vouloir attaquer cette ancienne alliée de la France et de lui imputer une oppression dont elle était la première victime ; au gouvernement isolé des beys ? une telle autorité n’était et ne pouvait pas être reconnue. On châtie des brigands, on ne leur déclare pas la guerre. Et aussi, en attaquant les beys, n’était-ce donc pas l’Angleterre que nous allions réellement combattre ? « Tout cela était factice, jésuitique ; la preuve en est dans la lettre adressée par Talleyrand, le 16 thermidor (3 août) précédent, à notre chargé d’affaires à Constantinople (Herbette, Une ambassade turque sous le Directoire, p. 237), et dans laquelle notre ministre ne se faisait guère d’illusions sur les sentiments que pouvait éprouver la Porte dupée à notre égard. Mais le procédé a paru bon depuis aux gouvernants d’humeur conquérante, n’admettant que pour les autres le respect des règles constitutionnelles, engageant leur nation dans une guerre sans la consulter, soucieux seulement de rendre inévitable le conflit qu’ils recherchent sans oser l’avouer. Dans ces conditions, les « brigands », les « exactions », les incidents, ne font jamais défaut ; leur réalité, leur gravité importent peu, quand il y a volonté préconçue de conquête, ou d’impérialisme, suivant l’expression du jour.

Bonaparte avait caressé l’espoir d’amener le sultan à consentir à l’occupation de l’Égypte par la France, soit sous forme de protectorat, comme nous dirions aujourd’hui, soit même sous forme de cession ; et c’est par Talleyrand qu’il aurait voulu voir remplir cette mission à Constantinople, tandis que Kodrikas à Paris (début du chap. xvi) agirait sur l’envoyé du sultan. Malgré la défaite d’Aboukir, il mit du temps à renoncer à ce rêve et, en attendant les événements, s’appliqua à compléter l’organisation provisoire déjà entamée du pays.

Le 5 fructidor an VI (22 août 1798), il fondait l’Institut d’Égypte, composé de 48 membres divisés en quatre sections. Savants et artistes attachés à l’expédition étudiaient la contrée — qui, dans l’état actuel de nos connaissances des premiers âges de l’humanité, resterait le centre le plus ancien d’une réelle civilisation, alors même que sa culture serait d’origine asiatique, — explorant le pays, « dressant, comme l’a écrit M. Maspéro dans sa si intéressante petite Histoire de l’Orient (p. 68), la carte, levant le plan des ruines, copiant les bas-reliefs et les inscriptions ; le tout forma plus tard cette admirable Description de l’Égypte, qui n’a pas encore été surpassée ni même égalée ». En fructidor an VII (août 1799), un officier du génie, Bouchard,