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Conseil des Cinq-Cents votait qu’un milliard, valeur métallique, serait distrait de la masse des biens nationaux, pour être, sous forme de cédules hypothécaires, distribué aux défenseurs de la patrie. Seulement, le 14 frimaire, (5 décembre), le Conseil des Anciens rejetait cette résolution. Cependant, comme Jourdan devait le constater le 28 frimaire an VI (18 décembre 1797), dans le rapport dont il sera question plus bas, « le sentiment plus puissant que la loi n’a pu s’arrêter là ; il a plus d’une fois à cette tribune proclamé un milliard », et ce chiffre fut sanctionné par la loi du 28 ventôse an IV (18 mars 1796) sur les mandats territoriaux, cette loi décidant (art, 17) que « la commission présentera sans délai le mode d’exécution de la loi qui réserve un milliard aux défenseurs de la patrie ».

Ces dispositions légales étaient particulièrement chères à une partie de la population (voir chap. iii et xii). Aussi, de loin en loin, un député rappelait la promesse faite, demandait que la commission chargée de rédiger un projet pour sa réalisation déposât à brève échéance son rapport, la majorité approuvait et la commission ne bougeait pas. Le 9 brumaire an V (30 octobre 1796), Dubois (des Vosges) rappelait le dernier vote : « Vous avez promis un milliard aux défenseurs de la patrie, vous tiendrez vos engagements », et Lecointe ajoutait ; « Ce n’est point un milliard en écus que vous avez promis à nos braves défenseurs. Vous avez promis de leur distribuer des terres pour une valeur égale à celle d’un milliard. Une commission est chargée d’un travail à ce sujet. Je demande qu’elle le présente incessamment, je sais qu’il est très avancé ». Le 13 nivôse an V (2 janvier 1797), Dubois-Crancé réclamait : on l’adjoignait à la commission. Le 4 fructidor suivant (21 août 1797), réclamation de Bentabole ; il constatait que les biens des émigrés mis en réserve avaient été rendus à leurs parents, mais que la promesse faite aux défenseurs de la patrie n’en devait pas moins être tenue.

Enfin, le 28 frimaire an VI (18 décembre 1797), Jourdan présentait aux Cinq-Cents le rapport si longtemps attendu. La commission substituait au partage de terres, primitivement prévu, une pension viagère qui serait servie à dater du premier jour de la paix générale ; cette pension, dont le montant devait être tout d’abord fixé à raison du nombre des années de campagne, sans distinction de grade, augmentait tous les ans par la distribution de la part des décédés aux survivants, jusqu’au maximum de 1 500 fr. pour chacun ; elle ne pouvait être ni cédée, ni saisie. Après un nouvel ajournement, cette proposition, votée par les Cinq-Cents le 4 pluviôse (23 janvier), était, sur le rapport d’Antoine Marbot, approuvée par les Anciens le 1er ventôse an VI (19 février 1798). Il est évident que, malgré toutes les explications justificatives des deux rapporteurs, la loi votée était une atténuation de la promesse faite ; si encore elle avait été appliquée !

Pour l’appliquer, on devait commencer par établir la liste des bénéficiaires. Or, de nombreuses municipalités composées de ces modérés toujours