Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec Declerck, Desretz et Savalette, elle se faisait autoriser, sous prétexte d’« accélérer l’exécution » d’un traité dont elle venait d’excéder les clauses à son profit, à prendre pendant quarante jours les mandats existant en caisse dans 40 autres départements ; et elle allait ainsi récolter « plus de 600 millions mandats qui, au cours de la date de ses récépissés, valaient plus de 9 millions, après les avoir vendus vraisemblablement plus avantageusement », alors que « le Trésor public ne recevait pas 7 millions de la compagnie » (Conseil des Cinq Cents, séance du 26 floréal an V-15 mai 1797). Déjà, dans la séance du 18 germinal précédent (7 avril 1797), Camus avait dit, dans un rapport sur ce scandale : « Il est évident que la République a perdu 2 600 000 francs, tandis que les personnes avec lesquelles elle a traité n’ont pas pu gagner moins de 2 700 000 fr. (et ont pu gagner beaucoup davantage) en quatre mois de temps, sans courir le plus léger risque ». Dans la séance du 26 floréal (15 mai 1797), un autre fait était cité par Camus : la Trésorerie nationale devait une somme de 750 000 livres à divers créanciers ; elle s’entendit avec la compagnie Dijon qui s’engagea à acquitter cette dette à l’échéance ; ce jour-là, au lieu de livrer les fonds, la compagnie offrit des traites à 90 jours ; plusieurs créanciers acceptèrent et, quelques instants après, une autre compagnie, qui n’était que la compagnie Dijon sous un autre nom, payait immédiatement les traites avec 40 % de rabais (Defermon, même séance).

Je ne puis énumérer toutes les opérations de ce genre scandaleusement fructueuses, toutes les « escroqueries » — comme il fut dit au Conseil des Anciens, le 11 vendémiaire an VI (2 octobre 1797) — des sieurs Hainguerlot, Saint-Didier et autres ; mais je signalerai que le rapport fait par Montpellier (de l’Aude) aux Cinq-Cents, le 24 messidor an VII (12 juillet 1799), et surtout celui de Housset, fait le 12 thermidor suivant (30 juillet), qui dénonce « l’existence d’une corporation de voleurs publics », contiennent une foule de faits de dilapidations de toute espèce. S’il est, à ce propos, parfaitement juste d’incriminer le Directoire et, en particulier, Barras, il y avait d’autres grands coupables ; c’étaient les commissaires mêmes de la Trésorerie, que la Constitution (chap. x) chargeait de la surveillance des recettes et des dépenses ; j’ai déjà eu l’occasion, à propos de la tentative de Hoche en Irlande (chap. xvi § 1er), d’indiquer l’odieuse conduite de ces fonctionnaires. Les cinq réactionnaires qui avaient réussi à se faire élire à ce poste par le Corps législatif et qui étaient alors les nommés Gombault, Desrets, Declerck, Lemonnier et Savalette, avaient conclu, le 5 nivôse an V (25 décembre 1796), avec la compagnie Dijon, sans la participation ni de la commission de surveillance de la Trésorerie, ni du Directoire, la convention à laquelle je faisais allusion tout à l’heure, convention qui, tenue d’abord secrète tellement elle était désastreuse pour l’État, autorisa le général Antoine Marbot, le 14 brumaire an VI (4 novembre 1797), à les accuser devant le Conseil des Anciens de « malversations », en regrettant que leurs fonctions ne fussent pas con-