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la majeure pour la mineure. Il faudrait dire : le Trésor est vide parce que les marchés sont onéreux ». À la même séance, Chabert avait dit avant : « Il est facile de vous prouver que les sommes que reçoivent les fournisseurs sont plus que suffisantes pour satisfaire à leurs fournitures. Ne touchassent-ils que le quart, leurs bénéfices seraient encore considérables, puisque leurs marchés outrepassent toujours les trois quarts de la valeur, et que la plupart d’entre eux étaient dans la détresse avant d’être admis dans la bande des fournisseurs et que, peu de temps après, ils sont devenus millionnaires, et la République leur doit encore des sommes énormes ».

De nombreux traités conclus avec les financiers de l’époque avaient pour but de procurer du numéraire au Trésor. Tels furent les traités du 16 vendémiaire an V (7 octobre 1796) avec Warnet, Klein, Perrotin et Cie et, du 4e jour complémentaire an VI (20 septembre 1798), avec Vaulenbergh et Cie ; pour ce dernier, le diamant le Régent devait être déposé en nantissement ; Vaulenbergh sut si bien prêter au Trésor l’argent qu’il lui soutirait, qu’il y gagna tout le quartier Beaujon. D’autres traités de ce genre avaient été conclus, d’après le premier compte rendu imprimé de Ramel sur les finances avant l’an V, avec Magon de la Ballue, Devinck, Lang, Hupais, Gelot et Cie Tourton, Ravel, Chevremont, Sadler. Aux nommés Gobert, Moïse Isaac et Cie, « munitionnaires généraux des vivres-viandes de l’armée de Rhin-et-Moselle », on abandonnait, le 3 frimaire an V (23 novembre 1796), pour leurs ordonnances, des quantités de fer, de cuivre, de houille, etc. Dix jours après, le 13 frimaire (3 décembre), à une compagnie Ragueneau, qui s’engageait à livrer en numéraire 20 000 francs par jour pendant un mois, soit 600 000 francs, et 3 millions en lettres de change dans divers délais, on accordait une remise de 3 % sur les 3 millions 600 mille francs plus, jusqu’à concurrence de cette dernière somme intégrale, le produit de la vente des coupes de bois pour l’an V dans 17 départements ; elle avait enfin le droit d’acquitter les 3 millions soit avec des fournitures, soit avec le montant des créances de ceux qui les auraient faites : chaque ordonnance de fournisseur livrée par elle acquittée devait être reçue au comptant par la Trésorerie. Toutes ces transformations, toutes ces complications servaient à accroître les bénéfices des spéculateurs au préjudice du Trésor public (Archives nationales, AF* iii 183 et 186). D’après un rapport de Camus présenté le 5 germinal an V (25 mars 1797) au Conseil des Cinq-Cents siégeant en comité secret, le nommé Paulet, autorisé, le 8 frimaire an V (28 novembre 1796), à prendre pour 16 millions de biens nationaux en Belgique, sans enchères et sans le moindre payement en numéraire, en avait, le 28 pluviôse suivant (16 février 1797), acquis pour 4 millions contre diverses valeurs représentant seulement 579 451 francs.

L’affaire de ce genre qui fit le plus de bruit, fut celle de la compagnie Dijon. Sous le nom de J.-B. Dijon et Cie se cachaient, par prudence sans doute, la pudeur n’étant pas à leur portée, deux chevaliers d’industrie, Hainguerlot