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livres], tandis qu’il ne valait dans le pays que 10 à 11 francs » (Revue militaire, Archives historiques, n° de juin 1899, p. 144). Une compagnie Gaillard (séance des Cinq-Cents du 26 floréal an V-15 mai 1797) vendait au ministère de la marine du blé à 42 fr. 34 les 100 kilos, tandis qu’à Paris et dans la Beauce, ils coûtaient 30 fr. 24. Un an avant (messidor an IV-juin 1796), ce même ministère les avaient payés 26 fr. 71 (Archives nationales, F11 1173). D’après un mémoire du ministère de la guerre au Directoire (Archives nationales, AF iii 543), les entrepreneurs Jovin et Dubouchet, de la manufacture d’armes de Saint-Étienne, se faisaient, « par une coupable connivence avec les officiers d’artillerie chargés de la surveillance des ateliers et les commis des bureaux de la guerre », délivrer, en abondance et à vil prix, comme étant de rebut, des matières premières ou confectionnées ; n’ayant, par ces escroqueries, aucune concurrence à redouter, ils obtenaient les commandes non seulement du gouvernement français, mais des républiques alliées ; avec les matières escroquées, dit le rapport, ils font « établir pour le gouvernement les fusils qu’ils sont chargés de lui fournir, de manière qu’ils vont lui vendre 30 fr. ce qu’ils ont acheté de lui pour 3. On prétend que cette dilapidation extraordinaire leur vaut près d’un million… Ces messieurs les entrepreneurs fournissent au gouvernement ligurien une grande quantité d’armes ; ils ont pris dans les magasins de la République à Saint-Étienne les canons, platines, garnitures, le tout prêt et achevé ; ils en font de beaux et bons fusils, sur lesquels ils font des bénéfices aussi grands que sur ceux qu’ils fournissent au gouvernement. Ajoutez à ces abus qu’ils songent plus à leurs fournitures pour Gênes qu’à celles qu’ils doivent faire à la République française » ; par arrêté du 29 fructidor an VI (15 septembre 1798), le Directoire autorisa aussitôt l’apposition des scellés sur la manufacture d’armes. Des dilapidations semblables étaient, au même moment, signalées à Charleville. Au début de l’an VII (fin 1798) Amelot dénonçait la compagnie Felice pour ses mauvais habits, la compagnie Monneron pour les mauvais chevaux fournis à la cavalerie, etc. (Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée, n° de juillet 1903, p. 90). Une compagnie Musset, d’après une plainte du général Schauenbourg du 20 germinal an VII (9 avril 1799) fournissait des habits ridiculement petits, même pour les hommes les plus petits (Sciout, Le Directoire, t. IV, p. 137, note). Et voici les paroles de Dubois-Dubais au Conseil des Anciens le 6 prairial an VII (25 mai 1799) : « À qui persuadera-t-on, par exemple, qu’il faut que le gouvernement paye les chevaux 350 fr. à des fournisseurs, quand ceux-ci se les font donner à 240 fr. et même à moindre prix ? qu’il faut qu’il paye les bottes 17 et 18 fr., quand l’ouvrier les fait pour 8 et 9 fr. ? qu’il faut qu’il paye les farines 49 fr. le sac, quand on lui a offert d’en fournir à 37 fr. ? et ainsi de toutes les autres fournitures dans lesquelles on comprend des choses qui n’ont jamais été livrées ». On n’est pas surpris à ce compte qu’ils aient pu s’enrichir, même en faisant sur leurs ordonnances des