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ne sont pas, aux yeux du peuple, « la sauvegarde de son indépendance », il s’en dégoûte et « ce dégoût » est « le premier pas » vers « les magistratures à vie » et le « despotisme ». Pour J.-M. Savary, étudiant dans Mon examen de conscience sur le 18 brumaire (p. 42) « les causes du renversement du gouvernement » à cette dernière date, « la principale… doit se rattacher aux élections de commande qui ont eu lieu en l’an VI, et aux mutilations qu’on leur a fait subir ensuite. Le vœu de la nation a été méconnu : elle s’est séparée du gouvernement dont la chute ne devait plus, dès ce moment, former un problème ».

Une loi du 15 ventôse (5 mars) avait fixé dorénavant au 20 floréal (9 mai) au lieu du 30, le tirage au sort du directeur à remplacer, de façon que la nomination échappât au nouveau corps législatif, qui se réunissait de droit le 1er prairial (20 mai). Désigné par le sort, François (de Neufchâteau) eut pour successeur, le 26 floréal an VI (15 mai 1798), Treilhard. Or ce dernier, ancien membre de la Constituante et de la Convention, n’était sorti du Conseil des Cinq-Cents que le 1er prairial an V (20 mai 1797) et l’art. 136 de la Constitution de l’an III portait : « À compter du premier jour de l’an V de la République (22 septembre 1796), les membres du Corps législatif ne pourront être élus membres du Directoire, ni ministres, soit pendant la durée de leurs fonctions législatives, soit pendant la première année après l’expiration de ces mêmes fonctions ». La nomination de Treilhard était donc, en dépit de toutes les subtilités, faite en violation de la Constitution. Quant à son prédécesseur, François (de Neufchâteau), notre plénipotentiaire d’abord, nous l’avons vu plus haut, à la conférence de Seltz, il reprit le portefeuille de l’Intérieur que lui avait rendu, pendant sa délégation diplomatique, un arrêté du 29 prairial an VI (17 juin 1798).

Parmi les nouveaux députés au Conseil des Cinq-Cents, dont son frère Joseph faisait aussi partie, se trouva Lucien Bonaparte, élu par le département du Liamone, chef-lieu Ajaccio, un des deux départements que la Corse comptait alors. Tandis que les élections régulières étaient invalidées, il fut validé, le 29 floréal (18 mai), bien qu’élu sans avoir 25 ans — il était né en 1775 — par un département qui n’avait pas de député à nommer ! Tripoteur émérite, prêt aux revirements les plus indécents, ne reculant devant aucun moyen pourvu que le résultat lui fût favorable, il allait devenir un des instruments de la fortune politique de son frère Napoléon. À propos de celui-ci, je signalerai, à titre de curiosité, d’après M. Sciout (Le Directoire, t. III, p. 468-464) la scission des Landes ; il y eut dans ce département trois assemblées électorales ; tandis que l’assemblée-mère compta 176 votants, les deux scissionnaires en eurent respectivement 21 et 22, et ces deux dernières choisirent le général Bonaparte, l’une pour un an, l’autre pour trois ans. On voit par les chiffres combien il est risqué de prétendre qu’il fut élu député ; en fait, il ne fut à aucun moment considéré comme élu, et l’art. 44 de la loi du