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vention allait suivre le sentiment public leur devenant de plus en plus hostile et agir à leur égard comme ils l’avaient poussée à agir contre le club dit électoral. Par décret du 11 vendémiaire (2 octobre), les trois comités de salut public, de sûreté générale et de législation avaient été chargés de présenter un projet d’adresse aux Français indiquant les principes autour desquels la Convention les conviait à se grouper. Le 18 (9 octobre), Cambacérès lut un projet qui, après avoir été très applaudi, fut adopté à l’unanimité.

Cette adresse était dirigée à la fois contre les Jacobins partisans du gouvernement révolutionnaire dans toute sa rigueur et contre leurs adversaires du club dit électoral, opposés au maintien de ce gouvernement : elle promettait de conserver « le gouvernement qui a sauvé la République, dégagé des vexations, des mesures cruelles, des iniquités dont il a été le prétexte, et avec lesquelles nos ennemis affectent de le confondre ». Si elle déclarait la Convention résolue à prendre « contre ceux qui peuvent encore regretter la royauté, l’attitude la plus vigoureuse », elle ajoutait : « Fuyez ceux qui parlent sans cesse de sang et d’échafauds, ces patriotes exclusifs, ces hommes outrés, ces hommes enrichis par la Révolution », et ceci, avec son insinuation perfide, est pour les Jacobins. Le gouvernement révolutionnaire, disait-elle, doit être maintenu « malgré l’hypocrite patriotisme de ceux qui demandent le gouvernement constitutionnel », qui « proclament des principes », « se disent les amis du peuple », « parlent des droits du peuple », et ceci est pour le club dit électoral et pour Babeuf ; mais, contrairement à l’opinion de la plupart des historiens, ne pouvait viser le socialisme, — qui, s’il était près d’éclore, n’était pas encore réellement éclos, — ce passage : « Les propriétés doivent être sacrées. Loin de nous ces systèmes dictés par l’immoralité et la paresse, qui atténuent l’horreur du larcin et l’érigent en doctrine ».

Cela ne pouvait alors calomnier ni Babeuf, ni ses amis, en tant que socialistes, simplement parce que, à cette époque, ils n’avaient pas encore exposé de véritables idées socialistes qui ne devaient apparaître qu’en 1795. Ce qui, en ce moment, était visé au profit de la bande avide de spéculateurs que le 9 thermidor avait réjouis, c’étaient les réclamations, — dont Babeuf devait encore se faire l’écho dans son n° 29, — au sujet de la non application de décrets tels que ceux du 27 juin 1793, du 13 ventôse an II (3 mars 1794) semblant promettre aux plus pauvres l’accession à la propriété, et attribuer — vaguement d’ailleurs — des terres, le premier aux défenseurs de la patrie (voir chap. xii et xviii), le second aux indigents. Le grand argument des agioteurs contre les citoyens qui, sans la moindre apparence de théorie plus ou moins socialiste, dénonçaient leurs scandaleuses opérations et l’inexécution des lois votées, consistait à qualifier de « loi agraire » le partage légalement promis et réclamé de terres devenues propriété nationale, partage qui, loin d’être, ainsi qu’on l’a prétendu, une atteinte à la propriété individuelle telle qu’elle le constituait, en était, au contraire, la plus complète consécration sous la