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tôse (14 mars) ordonnait la fermeture de toute société ou cercle « qui fera collectivement un acte quelconque ». Le 22 germinal (11 avril), étaient supprimés le Journal des hommes libres et l’Ami de la patrie. Ces persécutions venant de gouvernants que tous détestaient et dont quelques-uns, suspects de trafics honteux, étaient méprisés, contribuèrent beaucoup, d’ailleurs, à la popularité des démocrates.

Sans que ceux-ci songeassent à protester, les vexations contre la classe ouvrière, dont il a été donné un exemple un peu plus haut (§ 1er) continuaient à l’occasion comme par le passé. Les ouvriers charpentiers qui, je l’ai signalé vers la fin du § 8 du chap. xi, d’après le rapport de police des 25 et 26 brumaire an VI (15 et 16 novembre 1797), résistaient à la prétention de leurs patrons de leur imposer une demi-heure de travail de plus, étaient traités de « perturbateurs », contre lesquels des mesures de répression étaient annoncées (recueil de M. Aulard, t. IV, p. 452). D’après le rapport du 21 germinal an VI (10 avril 1798). des ouvriers s’étant rassemblés dans l’île Louviers — elle correspondait à ce qui est aujourd’hui entre le boulevard Morland et le quai Henri IV — et ayant eu l’audace grande de se plaindre « entre eux de ne pas gagner assez, ont été amenés au Bureau central » (idem, p. 601). Enfin, à la date du 18 floréal an VI (7 mai 1798), nous trouvons (idem, p. 648) la décision, déjà mentionnée chap. xi § 8, du Bureau central du canton de Paris sur les rassemblements d’ouvriers. Ce Bureau, « informé que des ouvriers de diverses professions se réunissent en très grand nombre, se coalisent, au lieu d’employer leur temps au travail, délibèrent et font des arrêtés par lesquels ils taxent arbitrairement le prix de leurs journées », annulait les « arrêtés » pris par les travailleurs, défendait « à tous ouvriers d’en prendre à l’avenir de semblables », et déclarait « que le prix du travail des ouvriers doit être fixé de gré à gré avec ceux qui les emploient ».

On pouvait, dans les premiers mois de l’an VI, diagnostiquer un péril qui menaçait la République ; ce n’était pas le péril jacobin ou soi-disant tel, c’était le péril militaire incarné à cette heure dans Bonaparte. Depuis la mort de Hoche, tous les regards étaient tournés vers lui. À droite comme à gauche, on soupçonnait son ambition de se saisir du pouvoir.

Les royalistes qui le détestaient avant le 18 fructidor an V-4 septembre 1797 (voir au début de ce chapitre), n’avaient pas tardé, peut-être grâce aux manœuvres de Talleyrand, à renoncer à leurs préventions à son égard. Ce revirement s’était opéré avant même sa rentrée à Paris (15 frimaire an VI-5 décembre 1797) à la suite du traité de Campo-Formio. Dans le recueil de M. Aulard (t. IV, p. 474-475), nous lisons, à la date du 11 frimaire an VI (1er décembre 1797) : « L’opinion d’un café ferme en royalisme vient de revirer d’une manière prompte et frappante sur le compte du général Buonaparte : haï dans cet endroit jusqu’à ce jour, traité d’ambitieux, de Jacobin, de terroriste, il est aujourd’hui considéré comme un homme essentiel, sur le cou-