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bèrent, ils furent, au nombre de quatre-vingt-quatorze, incarcérés à Paris le 16 nivôse (5 janvier 1794). Fouquier-Tinville lui-même, jugeant qu’il n’y avait rien de sérieux contre eux, les oublia à dessein dans les prisons où les trouva le 9 thermidor. Traduits enfin devant le tribunal révolutionnaire, ces citoyens récriminèrent naturellement contre le comité qui les avait fait arrêter, racontèrent des actes de barbarie à sa charge et, le 28 fructidor (14 septembre), après sept jours de débats, leur acquittement était prononcé au milieu des applaudissements. Ceux qui voulaient abattre les Jacobins s’empressèrent d’exploiter les noyades dénoncées, et le comité de Nantes devint l’objet d’attaques qui frappèrent d’autant plus vivement l’esprit public qu’elles alimentaient à la fois son indignation d’actes horribles et son goût pour les récits détaillés d’horreurs.

Poussée par l’opinion la Convention décrétait, le 22 vendémiaire an III (13 octobre 1794), que le tribunal révolutionnaire poursuivrait sans délai « les membres du comité révolutionnaire de Nantes, prévenus d’être les principaux auteurs des atrocités qui ont eu lieu dans le département de la Loire-Inférieure » ; et, aux quatorze de ces membres déférés dès le 5 thermidor (23 juillet), par arrêté des représentants Bourbotte et Bo, au tribunal révolutionnaire et détenus à Paris, elle adjoignait de nouveaux accusés. Le 23 (14 octobre), paraissait l’acte d’accusation contre les quatorze ; les débats commencèrent le 25 (16 octobre) et, pendant leur cours, plusieurs témoins présumés complices furent transformés en accusés. Le public se passionna pour cette affaire ; bientôt il ne fut plus question que de Carrier. Les accusés se défendaient en rejetant tout sur lui ; aussi, le 8 brumaire (29 octobre), la Convention, considérant que, d’après la procédure instruite contre le comité de Nantes, il y avait lieu à examen de la conduite de Carrier, chargeait une commission de vingt et un membres de cet examen. Le 21 brumaire (11 novembre), Romme, au nom de cette commission, déposait un rapport concluant à la mise en accusation de Carrier dont la Convention prescrivait le maintien en arrestation chez lui sous la garde de quatre gendarmes. Pour sa défense devant la Convention, Carrier invoqua la férocité des Vendéens et les votes mêmes de l’assemblée : si l’on veut me punir, s’écria-t-il non sans quelque raison, « tout est coupable ici, tout jusqu’à la sonnette du président » (Thibaudeau, Mémoires sur la Convention et le Directoire, t. Ier, p. 142). Dans la séance du 3 frimaire (23 novembre), qui se prolongea jusqu’à deux heures du matin, il était décrété d’accusation par 498 voix contre 2 ; le 5 (25 novembre), l’acte d’accusation était approuvé et, le 7 (27 novembre), il comparaissait, avec les membres du comité de Nantes, devant le tribunal révolutionnaire. Condamné à mort le 26 frimaire (16 décembre) ainsi que deux de ses coaccusés, il était exécuté le même jour.

La campagne des pamphlets appuyée sur les révélations des Nantais, avait porté aux Jacobins un coup dont ils ne devaient pas se relever. La Con-