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Tout fut mis en œuvre pour faire échouer cette expédition, à propos de laquelle il faut remarquer que Hoche parlait aux soldats un autre langage que Bonaparte : « Je ne veux point avec moi, disait-il à des soldats mécontents, des hommes qui n’ont de mobile que l’or » (A. Rousselin, Vie de Lazare Hoche, t. 1er, p. 302). De Paris, Hoche ne recevait pas l’argent nécessaire : le cabinet anglais « a des complices à la Trésorerie, qui refusent les fonds et rassurent Pitt » (Bonaparte et Hoche en 1797, par M. Albert Sorel, p. 264). À Brest, il se heurtait au mauvais vouloir du vice amiral Villaret-Joyeuse et de nombreux officiers réactionnaires comme leur chef ; un seul parmi ceux qui étaient en fonction, Bruix, directeur général des mouvements du port, se montrait réellement dévoué et plein d’un zèle que l’hostilité de Villaret annihilait le plus souvent. L’amiral, en cette circonstance, obéissait à diverses considérations dont aucune n’était à son honneur. Un projet d’expédition dans l’Inde, dont il avait déjà été question (Les généraux Aubert du Bayet, etc., par de Fazi du Bayet, p. 94 et 101) en germinal an III (mars-avril 1795) et l’espoir de capturer les riches cargaisons des navires marchands avaient ses préférences ; en outre, après avoir, lors du séjour du comte d’Artois à l’île d’Yeu, envoyé un officier lui dévoiler le plan de Hoche pour l’enlever (Chassin, Les Pacifications de l’Ouest, t. II, p. 196), il songeait à être candidat dans le Morbihan, lors des élections de l’an V, avec l’appui des royalistes. Or ceux-ci, pour plaire au gouvernement anglais qui les payait, préludaient au nationalisme de leur digne progéniture en cherchant patriotiquement de toutes les façons à empêcher Hoche de partir. Ils tentaient d’abord, soit de le gagner, soit de le rendre suspect : un de leurs chefs. Frotté, invoquait des motifs graves pour lui demander, le 27 fructidor an IV (13 septembre 1796), un entretien particulier ; Hoche répondit immédiatement : « Il n’est si grand intérêt qu’on ne puisse traiter par écrit » (Idem, p. 604), et avertit, le lendemain, le Directoire par une lettre dont il a été cité un passage dans le chapitre précédent. Ils tentaient ensuite de l’assassiner, mais manquaient leur coup le 26 vendémiaire an V (17 octobre) à Rennes (Idem, p. 608), et peut-être y avait-il un peu plus tard à Brest une tentative d’empoisonnement (Idem, p. 613). La conduite de Villaret fut telle qu’il fallut le révoquer (15 brumaire an V-5 novembre 1796). Le vice-amiral Morard de Galles le remplaça dans le commandement des forces navales de Brest et, par le même arrêté, Bruix fut nommé major général de la flotte expéditionnaire qui, le 25 frimaire an V (15 décembre 1796), put enfin partir au moment où le Directoire décidait de renoncer à l’expédition.

Hoche était sur la Fraternité avec Morard de Galles ; l’avant-garde se trouvait sous les ordres du contre-amiral Bouvet qui était sur l'Immortalité avec le commandant en second des forces de terre, le général Grouchy. Par suite de mauvais temps, vent et brume, la Fraternité fut séparée du reste de la flotte qui, s’étant rejoint, fut dirigé par Bouvet vers la baie de Bantry,