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à être réellement profitable à tous les États importants, ce qui en aurait assuré la durée. Au contraire, établi sur des bases jugées insuffisantes par les appétits en cause maîtrisés et non apaisés, il manquait de solidité, tout en ayant l’inconvénient d’agrandir, de fortifier — moins qu’ils ne l’auraient voulu, d’où leurs rancunes, mais enfin d’agrandir, de fortifier — les adversaires de la France, mis ainsi par elle à même de retourner plus tard contre elle des forces accrues. Or, le Directoire d’abord, et Bonaparte ensuite, s’acharnèrent à trop obtenir pour eux-mêmes ; satisfaisant mal les appétits étrangers, non par scrupule de conscience, mais par avidité personnelle, ils préparèrent des mécontentements, de nouvelles hostilités et la ruine de leur système dont l’unique bénéfice fut d’avoir contribué à balayer dans divers pays les vieilles institutions ; ce dernier résultat aurait pu être atteint autrement.

Tandis que, par toutes les spéculations qu’elle suscitait, la guerre profitait aux financiers anglais, les classes populaires, écrasées sous les taxes, — sur la discussion au Parlement anglais de certaines réformes à cet égard, voir le tome III de l’Histoire socialiste, p. 696, 702, 708 — désiraient la paix. Devant les manifestations de l’opinion publique, Pitt parut céder. Il exprima l’intention de négocier la paix et, au début de vendémiaire an V (fin de septembre 1796), le Directoire se déclarait prêt à recevoir un commissaire anglais ; celui-ci, lord Malmesbury, connu comme très hostile à la France, arriva à Paris le 1er brumaire (22 octobre). Si Pitt et le Directoire tenaient tous les deux à montrer qu’ils voulaient la paix, ni l’un ni l’autre ne voulaient ce qui aurait permis de la conclure. Les gouvernants français et anglais (voir les paroles de Boissy-d’Anglas et de Pitt, chap. ix, et voir aussi certains passages du rapport de Merlin (de Douai) au nom du comité de salut public sur l’annexion de la Belgique dans le Moniteur du 12 vendémiaire au IV-4 octobre 1795), bien résolus à ne rien lâcher sur le point essentiel, ne pouvaient respectivement avoir aucune illusion sur leurs dispositions réciproques à ce sujet. Du reste, le 8 mars 1796, Wickham ayant, par une note remise a Barthélémy à Bâle, demandé quelles seraient les conditions de la France pour la conclusion de la paix, Barthélémy avait répondu, le 26 mars, qu’il ne saurait être question de « restitution de quelqu’un des pays dont la réunion à la France a été décidée » (Sorel, L’Europe et la Révolution française, t. V, p. 41). Dans ces conditions, quand, à la suite de pourparlers plus ou moins longs, il serait bien constaté que la France se refusait à abandonner la Belgique et que l’Angleterre, affectant en cela de défendre les intérêts de l’Autriche son alliée, s’opposait à ce qu’elle la gardât, la rupture, malgré les concessions qu’on offrirait de faire ailleurs, devait se produire et c’est ce qui eut lieu. Le 29 frimaire an V (19 décembre 1796), le Directoire décidait de suspendre les négociations et invitait Malmesbury à quitter Paris dans les vingt-quatre heures.