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Sublime Porte en article de réclame pendant à peu près deux mois. Le premier drogman, ou interprète officiel, de la nouvelle ambassade était un Grec qui s’appelait Panagiolis Kodrikas, nom qu’il changea en Codrika vers 1815 (voir Georges Avenel, Lundis révolutionnaires, p. 133-136).

Notre ambassadeur auprès de la Porte était alors le général Aubert du Bayet nommé, le 19 pluviôse an IV (8 février 1796), en remplacement de Verninac (chap. ix), et arrivé, le 11 vendémiaire an V (2 octobre 1796), à Constantinople, où il devait mourir le 27 frimaire an VI (17 décembre 1797). Après le rappel du premier secrétaire, Cara Saint-Cyr (arrêté du 6 ventôse an VI-24 février 1798), l’ambassade fut gérée par Ruffin qui, dans une lettre du 12 nivôse an VI (1er janvier 1798), signalait la mauvaise impression éprouvée par la Porte à la nouvelle des tendances de Bonaparte à exciter chez les Grecs ce qu’il appelait « le fanatisme de la liberté » (lettre du 29 thermidor an V-16 août 1797, dans la Correspondance de Napoléon Ier, t. III, p. 313). Un autre événement n’allait pas tarder à émouvoir le sultan et son ambassadeur. Ce fut le discours qu’Eschasseriaux aîné prononça au Conseil des Cinq-Cents, le 23 germinal (12 avril), trois semaines avant le départ de Bonaparte pour l’expédition d’Égypte, et dont il sera question dans le chapitre suivant à propos de la préparation de cette expédition. Si Esseid Ali renonça au projet qu’il avait aussitôt conçu de faire secrètement surveiller les mouvements de la flotte organisée à Toulon, s’il se laissa convaincre et s’il écrivit à Constantinople — où, un peu plus tard, le 1er messidor (19 juin) Ruffin s’attachait à enlever toute autorité à ce discours présenté comme la simple opinion personnelle de son auteur — que le but de l’expédition était la Sicile, ce fut grâce aux manœuvres de son drogman Kodrikas, qui savait tout, cachait la vérité à l’ambassadeur, trahissant le gouvernement turc et rêvant de l’émancipation de la Grèce, cause qu’il devait, d’ailleurs, trahir plus tard, à l’époque où il modifia son nom. Lors de la rupture des relations diplomatiques, les tentatives d’Esseid Ali pour obtenir ses passeports (frimaire an VII-décembre 1798) restèrent sans résultat, par suite de l’arrestation du personnel de l’ambassade française opérée sur l’ordre du sultan (chap. xix, §2). Esseid Ali continua donc d’habiter Paris jusqu’en 1802, surveillé, mais sans gêne réelle ; lorsqu’il partit, Kodrikas eut bien soin de ne pas l’accompagner à Constantinople.

Je m’étais proposé tout d’abord de dire ici un mot de la façon dont le Directoire avait envisagé la question du protectorat par la France des établissements religieux catholiques au Levant. Mais, en présence de l’opinion soutenue, le 24 novembre 1903, à la Chambre des députés, que la politique « du Directoire concernant nos missions au Levant est la même que celle du comité de salut public au temps où la puissante intelligence politique de Danton l’inspirait » (Journal officiel, p. 2860, 1re colonne), et que cette politique est identique à la politique traditionnelle, on me pardonnera, je pense, d’insister