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vent leur nuire, leurs préférences monarchiques. Dès son arrivée à Paris, il se hâtait de renouer des relations avec d’anciennes connaissances royalistes, et allait jusqu’à gémir sur les « conseils peu judicieux qui avaient été donnés au roi » (lettre de Wickham à Grenville du 27 juin 1797, idem, p. 235). Ce fut le 9 prairial (28 mai) que l’on connut à Paris la condamnation de Babeuf et de Darthé (chap. xiii) ; ce jugement, dit le rapport de police du 11 (30 mai) « est un sujet très vif d’entretiens publics », et l’exécution indigna les républicains avancés.

CHAPITRE XVI

OPÉRATIONS MILITAIRES ET DIPLOMATIQUES

(thermidor an IV à floréal an VI-août 1796 à mai 1798)

§ 1er — Turquie, Prusse, Espagne, Angleterre.

Nous savons que la politique du Directoire à l’intérieur était une politique sans principes, une politique d’intérêt personnel aboutissant à un jeu de bascule, à un « système de balance », devait dire Français aux Cinq-Cents, le 8 prairial an VII (27 mai 1799), déplorable pour l’affermissement des institutions républicaines. À l’extérieur, il en arriva à faire la guerre de conquête et de rapine, la guerre d’affaires dans le plus mauvais sens du mot, et n’eut d’autre politique que le trafic des territoires et le brocantage des populations. Après avoir vu la guerre épuiser ses ressources — elle avait aussi, d’ailleurs, été dure pour ses adversaires : la Banque d’Angleterre, par exemple, dut à son tour, à la fin de février 1797, suspendre les payements en espèces — il recourut à la guerre pour s’en procurer, et sa diplomatie, même lorsqu’elle parla au nom de « l’indépendance des peuples » (Moniteur du 13 pluviôse an III-1er février 1795, discours déjà signalé de Boissy d’Anglas), obéit à une arrière-pensée de lucre ; elle s’inspira toujours de la théorie monarchique que les peuples ne s’appartiennent pas, qu’un gouvernement qui a la force peut disposer d’eux sans les consulter et leur imposer, contrairement à leur volonté, un régime de son choix. En dehors de la poursuite du bénéfice immédiat, l’idée dominante fut de pousser la France jusqu’au Rhin, alors qu’il eût été bien préférable de laisser les provinces rhénanes se constituer en république indépendante. Je ne reviendrai pas sur la politique des « frontières naturelles », appréciée chapitre ix ; mais je constaterai que ses partisans comprenaient fort bien que l’Angleterre n’accepterait jamais de bon gré pareil agrandissement et qu’une coalition continentale serait nécessaire pour avoir raison de sa résistance. Aussi avait-on essayé depuis longtemps d’ébaucher cette coalition avec les États secondaires tels que la Suède, le Danemark, la Turquie ; ce projet ne put aboutir.