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On acceptait toute espèce de papiers. Assignats et mandats n’avaient pas été les seuls instruments à faire de l’argent. Souvent on avait opéré par voie de réquisition, d’où les bons de réquisition ; dès le début, le Directoire avait commencé à manger son blé en herbe, anticipant sur toutes les recettes éventuelles, d’où de nouveaux bons ; d’autres bons encore avaient servi à acquitter des indemnités dues en certaines circonstances ; pour les règlements des fournitures, les ministres signaient des ordonnances ; la loi du 8 prairial an III (fin du chap. vi) avait imaginé des bons au porteur gagnés en loterie ; lors de la baisse des assignats, certains fournisseurs avaient fait régler leurs mémoires par l’inscription de six fois, dix fois, quinze fois leur montant sur le Grand-Livre de la dette publique ; tons ces papiers étaient admis pour les cinq dixièmes du payement : les inscriptions sur le Grand-Livre correspondant à ces capitaux scandaleusement multipliés sous prétexte de dépréciation des fonds publics, étaient reçues à cet effet, jusqu’au 1er messidor suivant (19 juin 1797) seulement, « sur le pied de vingt fois la rente » ! Calculées de la sorte, ces inscriptions furent même reçues sans limitation de délai, et pour le prix entier (loi du 9 germinal an V-29 mars 1797) des « bâtiments nationaux », qui étaient, par cette loi, tous mis aux enchères, à l’exception de ceux faisant partie de propriétés rurales ou d’usines, de ceux réservés aux services publics, et des églises ou temples dont pouvaient disposer les communes par application de la loi du 11 prairial an III (30 mai 1795) mentionnée au chapitre vi. Les gens qui avaient profité de la faculté d’acquisition d’immeubles nationaux attachée aux mandats par la loi du 28 ventôse an IV, avaient été intéressés à la baisse du nouveau papier-monnaie, afin de l’obtenir à meilleur compte ; aussi avaient-ils agi en conséquence, et la débauche de papiers à laquelle on s’était livré n’avait pu que leur faciliter la tâche. Les biens nationaux ainsi obtenus par les spéculateurs à vil prix, les ressources sur lesquelles le gouvernement avait compté lui avaient échappé. C’est pourquoi la loi du 20 fructidor an IV (6 septembre 1796) citée tout à l’heure, avait établi que les biens nationaux non vendus ne le seraient désormais que par enchère. Il y avait eu, jusqu’au 10 fructidor (27 août), dans le département de la Seine, un de ceux où la moyenne de consignation par vente fut le plus élevée, 2 783 soumissions, pour lesquelles les soumissionnaires avaient consigné la valeur de 16 557 609 fr. (Archives nationales, AF IV 399).

Bon gré, mal gré, la législation, qui avait été impuissante à maintenir le cours du papier-monnaie, dut s’adapter au fait de sa dépréciation. On avait déjà officiellement consacré la réduction de valeur des assignats, par exemple dans la loi du 19 frimaire an IV sur l’emprunt forcé (chap. xii). La loi du 15 germinal an IV (4 avril 1796) réduisit dans des proportions diverses, suivant leurs dates, le montant des obligations ou conventions exprimé en assignats, tout en imposant (fin du chap. xii) d’effectuer tous les payements en mandats valeur nominale : c’était encore la circulation forcée des assignats