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se brouiller avec le Saint-Siège que s’il ne lui était pas possible de faire autrement : il voulait la paix et l’argent.

C’est un tort souvent de voir dans des avances conciliantes un indice de frayeur ou de faiblesse ; les diplomates, en particulier, ne savent guère admettre que les choses qui les occupent soient parfois très simples ; ils supposent toujours des dessous compliqués, croyant faire ainsi preuve d’une finesse qui est mise précisément en défaut par le trop fréquent désir de se prouver. Ce fut, en la circonstance, le tort du pape. D’autre part, au courant de la nouvelle entrée en ligne de l’Autriche sous la direction d’Allvinczi, il se trouva par là confirmé dans son idée que la crainte seule avait motivé les bonnes intentions de Bonaparte, et il fit des préparatifs guerriers, escomptant le succès de l’Autriche et l’appui de Dieu. Aussi, immédiatement après l’écrasement d’Allvinczi, Bonaparte songeait à se retourner contre le pape. Le 3 pluviôse an V (22 janvier 1797), il mandait à Cacault de quitter Rome « six heures après la réception » (Idem, p.338) de sa lettre. Cacault la recevait le 7 (26 janvier) et partait aussitôt.

Dès le 28 nivôse (17 janvier), Bonaparte avait de Vérone ordonné des préparatifs sous les ordres du général Victor. Celui-ci franchissait le Pô le 2 pluviôse (21 janvier), séjournait le 3 (22 janvier) à Ferrare, se dirigeait le lendemain sur Bologne et, le 13 (1er février), quittait cette ville et arrivait devant Imola, première ville, en ce moment, sous la domination du pape.

Après avoir culbuté les soldats du pape commandés par Colli, « préparés par de saints exercices à monter au ciel » (Gaffarel, Bonaparte et les républiques italiennes, p. 210), mais paraissant peu empressés à effectuer cette ascension, il entrait dans Faenza sans avoir pu, malgré ses efforts, rattraper la cavalerie papale, qui détalait comme si les volailles célestes lui avaient prêté leurs ailes ; il occupait Ancône le 21 (9 février) ; les troupes du pape n’avaient pas essayé de se défendre. Bonaparte se livra à son cabotinage habituel : il manda moines et prêtres, les rassura, les exhorta à avoir confiance en lui ; entre comédiens on se comprit vite, et l’entente fut aisée pour éviter les sacrifices essentiels. Le 24 (12 février), le pape demandait à traiter et, le 1er ventôse (19 février), la paix était signée à Tolentino. Le jour même, Bonaparte écrivait à Pie VI : « J’envoie mon aide de camp chef de brigade pour exprimer à votre Sainteté l’estime et la vénération parfaite que j’ai pour sa personne » (Correspondance de Napoléon Ier, t. II, p. 450). L’avant-veille (29 pluviôse-17 février), il avait écrit au général Joubert : « L’armée est à trois jours de Rome. Je suis à traiter avec cette prêtraille » (Idem, p. 437). Ce rapprochement permet de juger l’homme.

Par le traité de Tolentino, que le Directoire ratifia le 12 germinal an V (1er avril 1797), le pape abandonnait toutes prétentions sur Avignon et sur le comtat Venaissin, depuis longtemps englobés sans son autorisation dans le département de Vaucluse ; il renonçait aux territoires de Bologne, de Ferrare,