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facilitèrent, le lendemain matin, une revanche momentanée : dans la soirée même du 26 (15 avril), ils devaient battre en retraite et se retiraient à Acqui. Bien qu’ayant, le 27 (16 avril), repoussé avec succès un assaut, Colli, que la capitulation de Provera isolait de l’armée autrichienne, se retira bientôt vers Mondovi où il était vaincu le 2 floréal (21 avril). Dès le 4 (23 avril), il proposait de suspendre les hostilités. Bonaparte répondait que les négociations pour la paix étaient réservées au Directoire ; mais qu’en attendant, il serait disposé à accorder un armistice si, comme gage de sincérité, le roi de Sardaigne lui livrait « deux des trois forteresses de Coni, de Tortona et d’Alexandrie » (Idem, p. 413) et, continuant à avancer, Masséna s’emparait de Cherasco le 6 (25 avril), et Augereau d’Alba le 7 (26 avril). Le 8 (27 avril), les pourparlers commençaient avec Colli et, finalement, la cour de Turin acceptait les conditions de Bonaparte qui, aussitôt, exigea les trois forteresses au lieu de deux ; l’armistice était signé, le 9 (28 avril), à Cherasco.

Ce faisant, Bonaparte empiétait sur les attributions du Directoire ; pour en obtenir la ratification de cet acte, il le prit par son faible et lui promit des millions. Le 26 floréal (15 mai), un traité de paix avec la Sardaigne, signé à Paris, cédait à la France la Savoie et Nice sans prévoir de compensation pour le roi ; en le dédommageant en Italie au détriment de l’Autriche, on l’aurait gagné ; en stipulant des garanties pour les populations qui seraient passées sous son gouvernement, en obtenant pour elles les réformes par elles revendiquées, on aurait gagné les populations. Au lieu de cela, du roi, en l’humiliant, on se fit un ennemi n’attendant qu’une occasion favorable pour reprendre les armes, et on allait s’aliéner le peuple en ne tenant compte de lui que pour le pressurer. L’odieux cabotinage de Bonaparte se manifesta dans toutes les circonstances. En entrant en campagne, il déchaîna la cupidité des officiers et des soldats et leur montra l’Italie comme une riche proie à partager ; lorsqu’ils appliquèrent ses cyniques leçons, il affecta une indignation provisoire et, le 5 floréal (24 avril), il écrivait au Directoire que les officiers, sous-officiers et soldats, coupables d’avoir pris ses excitations au pied de la lettre, se livraient « à des excès de fureur qui font rougir d’être homme » (Correspondance de Napoléon Ier, t. 11, p. 208). Il s’était concilié les soldats en se montrant sévère à l’égard des employés des fournisseurs ; mais son austérité hypocrite qui sut amasser rapidement une grosse fortune, — après avoir rappelé que Bonaparte prétendait à Sainte-Hélène être rentré de sa campagne d’Italie avec moins de trois cent mille francs, un historien bonapartiste, M. Frédéric Masson, a écrit : « Il est très vraisemblable que, dans ses souvenirs, il s’est trompé d’un zéro… il avait sans doute plutôt trois millions que trois cent mille francs. » (Napoléon et sa famille, t. Ier, p. 211) — protégeait les fournisseurs contre la concurrence des soldats qui pillaient ce que les autres tenaient à accaparer et, s’il fit quelques exemples, il ne frappa que des petits. Il y a aux Archives nationales (AF III, 114) une lettre