Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devait être, en l’an VI, dénoncé comme un des « enfants chéris de Babeuf » (Histoire politique de la Révolution française, d’Aiulard, p. 681, note) — ce qui était exagéré — dans un placard des modérés qui, nous le verrons (chap. xvii), annulèrent son élection le 22 floréal an VI (11 mai 1798). Cette lettre de mouchard corroborant, en ce qui concerne Biauzat, l’affirmation de Buonarroti, permet, selon toute vraisemblance, de connaître les noms des deux autres jurés qui m’ont encore jamais été publiés : les trois autres dénoncés étaient, avec l’orthographe et l’indication suivantes : Dubois, Lepouve, Mounier, des Pyrénées-Orientales ; c’est-à-dire Dubois, de la Sarthe, Delepouve, homme de loi à Arras, du Pas-de-Calais, et Moynier, des Pyrénées-Orientales. Or, Delepouve ne fut que juré adjoint et, aucun des adjoints ou des suppléants n’ayant été appelé à se prononcer, les deux jurés qui restèrent fermes jusqu’au bout avec Biauzat doivent être Dubois et Moynier.

Parmi les autres, dont les noms ont été cités plus haut, il y en eut un au moins qui vota tantôt pour et tantôt contre les accusés. Quel est celui-là ? Voici un témoignage qui, en nous donnant un nom, confirme une fois de plus ce que nous savons déjà au sujet de Biauzat. On lit, dans les Mémoires sur les règnes de Louis XV et Louis XVI et sur la Révolution, de Dufort de Cheverny (t, II, p. 335).

« Des seize jurés, on en connaissait douze honnêtes et convaincus des crimes des coupables. Un treizième s’était joint à eux, c’était le nommé Duffau, des Pyrénées, homme jouissant, dit-on, de quinze mille livres de rente, né hors de la lie du peuple et qui s’était faufilé dans la meilleure compagnie où il se prononçait comme ennemi des coquins. Cependant des jurés, ses voisins, le désignaient comme un homme faux, versatile et dangereux. Les trois autres jurés, dont Biauzat, ex-député, était le chef, étaient reconnus par des jacobins décidés, Biauzat, qui avait été un des acteurs de la Terreur, ne se masquait pas ; il aurait innocenté les plus coupables. »

Après avoir constaté la « consternation » produite par le premier résultat, notre auteur qui, en bon réactionnaire, ne recule pas devant la calomnie — on vient de le voir pour Biauzat dit « un des acteurs de la Terreur » — à l’égard des républicains avancés, ajoute : « Un des jurés crut s’apercevoir, à l’embarras de Duffau, qu’il était le coupable. Il le prit en particulier et lui dit à l’oreille : « Vous êtes à mes yeux le dernier des hommes. Il est clair « que c’est vous qui avez mis la boule blanche ; on sait vos liaisons intimes avec la Buonarroti qui vous a séduit ; on vous soupçonne, en outre, d’être « payé. Je n’entre pas dans toutes ces infamies, mais je vous donne ma parole que, si vous continuez, vous ne périrez que de ma main. » Ce petit avertissement fraternel fit son effet » (Idem, p. 336).

Or Dufort de Cheverny était à même d’être bien renseigné. Il était « extrêmement lié » avec Pajon(t. II, p. 309) ; étant allé à Vendôme pendant le procès, il avait déjeuné avec lui et fréquenté Gandon, le président, Lalande, un juge