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l’exception d’un seul, le secrétaire Nicolas Pillé, qui, par ses aveux, se fit l’auxiliaire de l’accusation, nièrent la conspiration, tout en en légitimant hypothétiquement le but et en en justifiant les principes. Dans leurs essais d’explications vraisemblables pour les documents découverts et les faits établis, ils furent parfois obligés de recourir à des subtilités ; car la tâche n’était pas facile en présence des pièces saisies qui confirmaient le récit de Grisel. Celui-ci se vanta de n’avoir pas agi par intérêt ; pour pareille chose, déclara-t-il (Débats du procès, t. II, p. 115), toute récompense « serait ignominieuse ». L’appréciation n’était pas trop forte ; mais (Archives nationales, AFIII 42), par arrêté du Directoire du 17 floréal (6 mai), Cochon, au titre de « dépense secrète », versait à Grisel « dix mille livres assignats valeur nominale » qui valaient alors 30 francs en or ; par arrêté du 8 prairial (27 mai), le Directoire lui accordait un sabre avec son ceinturon ; par arrêté du 28 messidor (16 juillet), le Directoire lui octroyait « à titre de gratification pour les services par lui rendus », 3000 livres en mandats, valant à ce moment 165 francs, et des soins médicaux aux frais de la République : l’ignominie incontestable de Grisel était une ignominie au rabais. Pas une minute il ne fut question, ni dans l’instruction, ni durant les débats, de l’affaire de faux dirigée contre Babeuf. Cependant, c’est en germinal an IV (fin mars 1796) que Cochon avait reçu la lettre du commissaire du pouvoir exécutif Villemontey, datée de Beauvais, le 5 germinal (25 mars), et de nature à évoquer de nouveau l’affaire (voir chap. xii).

Les questions, telles que la Haute Cour les posait tout d’abord au jury, ne visaient que le fait de conspiration tendant : 1° à troubler la République en armant les citoyens les uns contre les autres ; 2° en les armant contre les autorités établies par la Constitution de l’an III ; 3° à opérer la dissolution du Corps législatif. Sur la proposition du chef du jury, Rey Pailhade, soutenu malencontreusement par le défenseur de Ricord, Laignelot, Fyon et Antonelle, ce Réal, rédacteur du Journal des patriotes de 89 dont j’ai parlé plus haut, et combattue par l’accusateur public, Viellart, qui trouvait que « cela ne résultait pas de l’acte d’accusation ; cela ne résultait pas non plus du débat » (Débats du procès, t. IV, p. 91 de la dernière partie), la Haute Cour ajouta aux trois séries précédentes posées par elle deux autres séries de questions concernant, la quatrième la provocation par discours, et la cinquième la provocation par écrits au rétablissement de la Constitution de 93.

Il suffisait de quatre jurés sur les seize votants pour absoudre. Ce résultat fut atteint sur les trois premières séries relatives à la conspiration ; mais non sur la quatrième relative à la provocation par discours au rétablissement de la Constitution de 93 ; toutefois, les circonstances atténuantes étaient accordées aux sept déclarés coupables : Babeuf, Buonarroti, Germain, Darthé, Moroy, Cazin, Blondeau. Au lieu d’en finir et d’interroger le jury sur la cinquième série de questions, il y eut suspension du procès-verbal, changement, sous