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ci-dessus sur « le repos du néant » et sur ce qui reste ; une fois le « corps rendu à la terre » ; le passage de la lettre à sa femme sur « la nuit éternelle » rapporté à la fin de ce chapitre ; et ces deux citations : « prêtres, c’est-à-dire charlatans, imposteurs » (no 5, Journal de la liberté de la presse) ;… « les hommes les plus estimables et les plus distingués tribuns. Le juif Jésus-Christ ne mérite que médiocrement ce titre » (no 35, Tribun du peuple).

Les démocrates dont la lettre à Lepeletier signalait l’odieuse attitude, avaient incontestablement le droit de ne pas partager les théories de Babeuf, ils avaient le droit de signaler les divergences d’idées entre eux et lui ; ils n’avaient pas le droit de l’insulter et de le calomnier. Et quand des hommes ont eu la lâcheté de commettre certains actes, quels que soient ces hommes, ils ne doivent pas échapper à la flétrissure qu’ils méritent ; tôt ou tard, il faut que leur mémoire porte le poids de l’infamie devant laquelle ils n’ont pas eu la propreté de reculer. N’ont-ils pas été immondes les Louvet, les Réal, les Dubois-Crancé ? Louvet, en écrivant dans la Sentinelle, le 23 floréal an IV (12 mai 1796) : « le démocrate Babeuf n’est qu’un royaliste déguisé » ; le 26 (15 mai) : « il fut jusqu’aux approches du 31 mai un aristocrate furieux », « il est… un agent des princes et de l’étranger. Et remarquez bien que je pensais ainsi de Marat, d’Hébert et de tous les brigands de ce genre » ; le 2 prairial (21 mai) : « déjà l’on en sait assez pour être convaincu que c’était bien un mouvement royaliste » ; — Réal, bientôt, défenseur de quelques accusés devant la Haute Cour et futur serviteur de l’Empire, non content d’avoir dit de Babeuf dans le Journal des Patriotes de 89, le 29 floréal (18 mai), « son funeste génie » et « ses maximes immorales et exterminatrices », en approuvant, le 30 (19 mai), Louvet quand il « démontre avec autant d’esprit, de courage ( !) que de raison que Babeuf est un royaliste », en ajoutant : « oui, Babeuf est l’homme de l’étranger ; oui, c’est l’homme des rois » et, le 8 prairial (27 mai), « voilà donc encore ce misérable qui, côte à côte de Carrier, s’avance vers l’immortalité ! Babeuf obtenir un nom, une mémoire ! Babeuf, un grand coquin ! En vérité cela seul devrait dégoûter les brigands du crime ! » — Dubois-Crancé, en injuriant dans l’Ami des lois du 25 floréal (14 mai) et en insinuant : « le coup qui a frappé Babeuf a retenti tout du long de la chaîne jusqu’à Londres, et voilà encore quelques milliers de guinées consommées en pure perte ». Si on excepte l’hospitalité donnée à la prose de l’ignoble Méhée dans son numéro du 2 prairial (21 mai), le Journal des hommes libres fut relativement modéré dans sa réprobation en blâmant, le 27 floréal (16 mai) « les conceptions extravagantes de Babeuf », en insérant, le 29 floréal (18 mai), la lettre de l’adjudant général Parein qui désavouait « ce grand complot aussi absurde qu’inexécutable sous tous les rapports », et en défendant ses amis, sans que cela fût exact pour tous, de complicité avec Babeuf.

Le gouvernement tenait avant tout à éviter, fût-ce devant une commission militaire, tout débat public à Paris ; j’en vois la preuve dans une lettre