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En résumé, parmi les ouvriers, il recherchait et devait trouver des adhésions collectives ; dans la petite bourgeoisie, il ne pouvait et ne devait avoir que des adhérents individuels. Au faubourg Saint-Marcel, nous voyons (Idem, t. Ier, p. 278 et 279) que Moroy, l’agent du XIIe arrondissement, signale, le 24 germinal (13 avril), deux teintureries, l’une ayant près de quatre-vingts ouvriers, l’autre une trentaine, « tous sans-culottes », « une vingtaine de tanneries occupant au maximum cinquante ouvriers, et au minimum une quinzaine, même opinion que ci-dessus pour les ouvriers, aucun entrepreneur ne vaut rien », « autant de mégisseries » dans les mêmes conditions. La propagande ne fut pas inefficace puisque, après l’arrestation de Babeuf, dans une lettre du 20 prairial an IV (8 juin 1796) adressée au bureau central, on lit, à propos des chantiers de la Grenouillère, — c’était alors le nom de la partie du quai à gauche et à droite du Palais Bourbon — « les partisans de la doctrine de Babeuf paraissent y avoir fait un grand nombre de prosélytes » (Archives nationales, F7, 7160-6202).

Un des soucis du comité secret était l’armée. Nous avons vu que, tandis qu’on la faisait, en Prairial et en Vendémiaire, intervenir contre les patriotes et contre les royalistes dans la politique intérieure, on désarmait successivement les citoyens ; l’armée était devenue ainsi la seule force organisée. Pour faire comprendre la transformation qu’opéra chez les militaires cet accroissement de puissance sans contrepoids, je me bornerai à citer, sans y changer un mot, un document qui n’était pas destiné à la publicité, un rapport de police du 5 frimaire an IV (26 novembre 1795) ; il décrit dans le style ampoulé de l’époque ce que, le 17 août 1899, le général Roget devait, avec une indulgence caractéristique, appeler de « petits travers » (Le Temps, 18 août 1899) : « De tous les genres de fléaux qui nous harcèlent, la domination militaire n’est pas le moindre ; l’on rencontre partout Mars en habits de combats et en partie de débauche ; tantôt il menace de mitrailler les marchands de comestibles ; tantôt il vend sa protection aux débitantes frauduleuses qui trompent impunément le public ; partout on voit l’esprit de domination dont il s’arroge les avantages et dont il fait justement appréhender les suites. Ô vous qui fournissez à ses plaisirs, ainsi qu’à ses dépenses, tremblez de vous livrer avec sécurité aux désastreux avantages d’un tel appui ! Il vend toujours cher ses services, et les premiers objets sacrifiés à ses ressentiments sont toujours ceux qui tentent de le rappeler aux devoirs et qui lui retranchent ses jouissances » (recueil de M. Aulard, t. II, p. 428).

Pour essayer de réveiller l’ancien esprit démocratique de l’armée, Babeuf, dans le n° 41 du Tribun du peuple (10 germinal - 30 mars), s’adressait aux soldats : « C’est vous, leur disait-il, qui êtes peuple ; c’est vous, soldats de la République, que l’on oppose à une autre portion du peuple !… Non ! vous ne serez point les vils satellites, les instruments cruels et aveugles des ennemis du peuple et, par conséquent, des vôtres ». Dans le n° 5 de l'Éclaireur