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et voulant « même forcer les fabricants à signer ces sortes de marchés » ; « on fait surveiller ces rassemblements », ajoute le rapport. De nombreux ouvriers imprimeurs s’étant réunis, le 25 messidor (13 juillet), « à l’effet de délibérer sur leur payement qu’ils ne veulent recevoir qu’en numéraire », étaient arrêtés et « conduits dans différentes maisons d’arrêt ».

Ce qui démontre combien le socialisme à cette époque, à ses débuts, était rudimentaire, combien il négligeait la réalité, c’est son indifférence absolue à l’égard de ces divers incidents de la lutte entre patrons et ouvriers. Sans doute, les premiers socialistes français, Babeuf et ses amis, les Égaux, ainsi qu’ils s’appelaient, se sont indignés de la misère des travailleurs et en ont poursuivi la disparition ; mais ni eux, ni d’autres d’ailleurs, ne se sont alors doutés le moins du monde de la portée théorique et pratique des conflits, si modestes qu’ils fussent, éclatant entre capitalistes et salariés. S’ils ont eu le mérite de comprendre l’importance de la question économique, s’ils ont, dès le début, fait de celle-ci le point de départ du socialisme, ils n’ont pas saisi le sens des différends économiques qui se produisaient sous leurs yeux. Les faits dont ils songeaient à tenir compte étaient pour eux source de mécontentement, non d’enseignement. Au lieu de s’en inspirer, ils prétendaient les mouler sur ce qu’ils imaginaient être « les institutions dictées par la nature et l’éternelle justice » (n° 35 du Tribun du peuple).

Dans les premiers jours de germinal an IV (fin mars 1796), Babeuf et deux de ses amis, Sylvain Maréchal, que son irréligion avait fait emprisonner en 1788, qui avait été un des rédacteurs du journal les Révolutions de Paris, que Babeuf, on l’a vu chap. Ier, connaissait depuis longtemps, mais qui, au début de l’an III, dans son Tableau historique des événements révolutionnaires, flétrit trop au goût du jour tous les révolutionnaires vaincus, y compris Chaumette, — et Félix Lepeletier, frère de Lepeletier Saint-Fargeau, s’entendaient pour constituer une organisation insurrectionnelle. Ils s’adjoignaient presque aussitôt Antonelle et prenaient les premières dispositions. On choisit un agent principal dans chacun des douze arrondissements de Paris, et le serrurier Didier, ancien juré du tribunal révolutionnaire, fut désigné comme intermédiaire entre ces agents et le directoire secret. Sur les conseils de Didier, furent ajoutés aux quatre membres de celui-ci Darthé, du Pas-de-Calais, grièvement blessé à la prise de la Bastille, qui avait été, dans la grande période de la Révolution, membre du directoire de son département, et Philippe Buonarroti, descendant de Michel-Ange, exilé de Toscane, à qui la Convention avait accordé le titre de citoyen français (27 mai 1793) ; il devait être l’historien de la conjuration, et c’est à son ouvrage (Conspiration pour l’égalité dite de Babeuf) qu’ont été empruntés la plupart des détails de ce récit. Darthé et Buonarroti firent, à leur tour, admettre Debon qui, détenu avec Babeuf à la prison du Plessis, avait le plus contribué à modifier ses opinions sur Robespierre. Ainsi composé de sept membres, le directoire