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toyens aisés », pris « dans le quart le plus imposé ou le plus imposable » de chaque département, qui devaient le payer en numéraire, en matières d’or ou d’argent, en grains au cours de 1790, ou en assignats reçus pour le centième de leur valeur nominale. Cette mesure excita l’enthousiasme des patriotes à qui Babeuf disait dans son n° 39 (10 pluviôse-30 janvier) : « comme le riche tient dans sa main tous les objets de consommation, il trouvera toujours le moyen de se venger sur le pauvre, à moins que vous n’ayez eu la précaution de planter de barrières que sa cupidité ne puisse franchir ». Tout de suite, le Directoire escompta le produit de l’emprunt qui, après plus d’un an, ne devait donner, en numéraire ou en matières d’or ou d’argent, que moins de 13 millions. On parut aussi un instant vouloir s’en prendre aux agioteurs : un arrêté du 20 frimaire an IV (11 décembre 1795) annonça la fermeture de la Bourse de Paris. On déclamait contre les agioteurs, mais on n’agissait, et encore de loin en loin, que contre le menu fretin ; les gros qui avaient des complices hauts placés, travaillaient en paix et l’agiotage continua dans les cafés comme si de rien n’était. Aussi, par arrêté du 18 nivôse an IV (8 janvier 1796), la Bourse était rouverte et installée dans l’église des Petits-Pères ; elle s’était tenue, depuis le 1er prairial an III (20 mai 1795), au Louvre, dans une salle du rez-de-chaussée, au-dessous de la galerie d’Apollon.

Quand les assignats ne rapportèrent, pour ainsi dire, plus rien, ou se décida à en finir. Dès le 2 nivôse (23 décembre), une loi parlait de l’arrêt prochain de leur fabrication, et, le 10 pluviôse (30 janvier 1796), on fixait au 30 du même mois (19 février) la destruction des planches gravées servant à leur tirage. Le jour fixé, sur la place Vendôme, on procédait solennellement à cette opération. Cinq jours avant, le 25 pluviôse (14 février), Faipoult avait été remplacé au ministère des Finances, après le refus de Camus, par Ramel. Restait la masse en circulation ; pour la retirer, on imagina de substituer un nouveau papier-monnaie à celui qui ne valait plus rien. La fabrication des assignats cessait, celle des mandats territoriaux allait commencer.

Par la loi du 28 ventôse an IV (18 mars 1796), était autorisée l’émission de ces mandats jusqu’à concurrence de 2 milliards 400 millions ; ce jour-là les 100 livres en assignats valurent « sept sous neuf deniers, c’est-à-dire 38 centimes environ » (Ramel, ibid.,p. 24). On admettait l’échange de ces mandats contre les assignats à raison de 30 en assignats valeur nominale contre 1 en mandats, ce qui était l’organisation d’avance de la baisse du mandat ; en effet, si 300 francs en assignats pouvaient être échangés contre une valeur 30 fois moindre, autrement dit contre 10 francs en mandats, c’était poser dès l’origine que 10 francs en mandats ne vaudraient pas plus que 300 francs en assignats. Aussi, le jour même de leur apparition, le 22 germinal (11 avril), les 100 francs en mandats valurent 18 francs (Ramel, ibid., p ; 24) et ils n’allaient pas tarder à baisser.