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d’une façon trop absolue que « ce qui est possible en petit l’est en grand », invoquait uniquement, à l’appui de son système, l’expérience « de nos douze armées » et nullement les procédés révolutionnaires employés, par exemple, par des représentants en mission : ceux-ci, conscients du but à atteindre, sous le coup d’une impérieuse nécessité, prirent des mesures d’un caractère démocratique très accentué, mais qui ne visaient pas au delà des besoins du moment et dans lesquelles, en tout cas, ni notre premier socialiste Babeuf, ni personne à l’époque ne songea à voir les prémices d’une méthode normale à généraliser. Traité d’anarchiste — ce mot qui ne devait servir que beaucoup plus tard à désigner un parti déterminé, était alors exclusivement employé dans son sens primitif d’homme de désordre — Babeuf répondait, dans son n° 36 (20 frimaire-11 décembre), que ceux qui se servaient de ce mot « usé sous Louis XVI », « devraient se souvenir qu’ils ne doivent d’être ce qu’ils sont qu’à l’avantage d’avoir été aussi des anarchistes, au jugement des rois d’avant eux ».

Dans ce même numéro, il racontait — et une lettre adressée le 6 pluviôse an IV (26 janvier 1796) au ministre de la police par le bureau central confirme ce récit (Archives nationales, F 7, 7160-6202) — que, le 14 frimaire (5 décembre), un agent de police avait voulu l’arrêter au bureau de son journal, situé rue du Faubourg-Saint-Honoré, au coin de la rue des Champs-Élysées, actuellement rue Boissy-d’Angais. Ayant réussi à s’enfuir, il fut poursuivi par l’agent criant : au voleur ! Trois fois, depuis le coin de la rue de la Révolution — la rue Royale actuelle — jusqu’à l’ancien couvent de l’Assomption, il fut arrêté ; « mais trois fois, dit-il, il me suffit de décliner mon nom pour être relâché par le peuple. Les braves forts de la Halle, employés au magasin des subsistances de l’Assomption, furent les derniers qui m’arrêtèrent ; mais ils furent aussi ceux qui se conduisirent le plus dignement à mon égard… Dès qu’ils surent qui j’étais, ils protégèrent ma retraite ». C’était là le début d’un procès de presse intenté, pour son n° 35, à Babeuf que le ministre de la Justice déféra au jury d’accusation de la Seine en même temps que deux écrivains royalistes. Le 10 nivôse an IV (31 décembre 1795), ce jury décidait qu’il n’y avait pas matière à accusation ; mais, le lendemain (11 nivôse-1er janvier 1796), un arrêté du Directoire déclarait la procédure irrégulière et on manifestait l’intention de recommencer le procès. Obligé de se cacher, Babeuf n’en avait pas moins continué son journal. Son n° 37 (30 frimaire-21 décembre) était une réponse à l’ancien membre de l’Assemblée législative, Antonelle, qui avait critiqué certaines de ses opinions. Antonelle reconnaissait avec Babeuf que « l’état de communauté est le seul juste, le seul bon, le seul conforme aux purs sentiments de la nature » ; mais, ajoutait-il, « la possibilité éventuelle du retour à cet ordre de choses si simple et si doux n’est qu’une rêverie peut-être… Tout ce qu’on pourrait espérer d’atteindre, ce serait un degré supportable d’inégalité dans les fortunes ». C’est ce que