Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notamment le café des Bains chinois, au coin du boulevard et de la rue de la Michodière, dont le propriétaire, Baudrais (Révolution française, revue, t. XXXIII, p. 323), appartenait à la police, le café Chrétien, rue Saint-Marc, dont le patron était un des chefs du parti, le café Cauvin, rue du Bac, au coin de la rue de l’Université. Dans ces divers endroits, de même que dans les journaux des anciens Jacobins, l’article de Babeuf fit scandale. « Groupes, cafés, journaux », raconte Babeuf dans son n° 35 (9 frimaire-30 novembre), l’attaquèrent, sous l’impulsion, assure-t-il, de Fauché, parce qu’il n’avait voulu être « ni soufflé, ni corrigé, ni soudoyé ». En tout cas, loin d’être l’instrument de Fouché (Madelin, Fouché, t. Ier, p. 205). il s’en prit à lui : « Tu as des relations avec le pour et le contre ; tu t’insinues chez tous les partis ; tu ne t’es pas prononcé dans les moments de péril », écrivit-il notamment. Lebois, son ancien codétenu, étant allé jusqu’à lui reprocher d’avoir changé d’opinion sur le 9 thermidor, il reconnut qu’il fut « abusé un moment » à cet égard et fit l’éloge de Robespierre — après avoir été thermidorien avec excès (chap. ii), il est devenu robespierriste sans mesure et, sur ce point, sa lettre à Joseph Bodson, du 9 ventôse an IV (28 février 1796), est caractéristique ; dans cette lettre, dont Jaurès a publié une partie (t. IV, p. 1622) et qui se trouve dans la Copie des pièces saisies dans le local que Babeuf occupait lors de son arrestation (t. II, p. 52-55), il repoussait, en outre, l’hébertisme, comme il l’avait déjà fait dans le n° 3 de son journal (chap. ii) où il était antirobespierriste. — Il s’étonna d’avoir « choqué à la fois les patriotes et le million doré, le gouvernement et les amis du roi ».

À l’accusation d’avoir servi la cause royaliste « sans le vouloir », lui qui l’a toujours si vivement attaquée, il répliqua que ce qui faisait la force du royalisme, c’était « l’horrible famine factice », la misère qui écrasait le peuple sous la République, et il exposa qu’il voulait « des institutions plébéiennes » auxquelles la constitution de 93 « préparait les voies », assurant « le bonheur commun, l’aisance égale de tous les co-associés ». C’est donc « la loi agraire que vous voulez, vont, dit-il, s’écrier mille voix d’honnêtes gens ? Non : c’est plus que cela. Nous savons quel invincible argument on aurait à nous y opposer. On nous dirait, avec raison, que la loi agraire ne peut durer qu’un jour ; que, dès le lendemain de son établissement, l’inégalité se remontrerait ». Ce qu’il faut, c’est « l’égalité de fait », « la démocratie est l’obligation de remplir, par ceux qui ont trop, tout ce qui manque à ceux qui n’ont point assez » ; « tout ce qu’un membre du corps social a au-dessous de la suffisance de ses besoins de toute espèce et de tous les jours ; est le résultat d’une spoliation de sa propriété naturelle individuelle, faite par les accapareurs des biens communs ». Ce qu’il faut, c’est « assurer à chacun et à sa postérité, telle nombreuse qu’elle soit, la suffisance, mais rien que la suffisance ». Aux « anciennes institutions barbares » il faut « substituer celles dictées par la nature et l’éternelle justice ». En dehors de cet argument, Babeuf disant