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le 10 thermidor (28 juillet), Babeuf lui annonçait leur prochaine mise en liberté, parce que, disait-il, « le royalisme était devenu menaçant » (Idem, p. 145) et que le gouvernement ne pouvait trouver l’appui dont il avait besoin que « dans les patriotes caractérisés » (idem) ; cette même lettre contient des constatations réellement socialistes. Babeuf remarque que le producteur ne peut plus racheter son propre produit : les « innombrables mains desquelles tout est sorti ne peuvent plus atteindre à rien, toucher à rien et les vrais producteurs sont voués au dénûment » (id., p. 146) ; « travaille beaucoup et mange peu, ou tu n’auras plus de travail et tu ne mangeras pas du tout » (id., p. 147), voilà le langage qu’on tient au travailleur, voilà « la loi barbare dictée par les capitaux » (idem). J’ai déjà signalé (chap. x), à propos de la Constitution de l’an III que, dans les deux lettres « à l’armée infernale » des 17 et 18 fructidor (3 et 4 septembre), il protestait en faveur du suffrage universel (id. p. 168) et qu’il protestait aussi contre le système des deux Chambres, pour lui c’est « le peuple qui sanctionne les lois », et contre le projet de supprimer la gratuité de l’enseignement, les instituteurs, à son avis, devant toujours être « salariés par la nation » (id., p. 169). Le 24 fructidor (10 septembre), Babeuf quittait la prison d’Arras pour rentrer au Plessis à Paris. D’après sa lettre à Merlin (de Douai), insérée dans le Moniteur du 2 nivôse an IV (23 décembre 1795) et dans le n° 38 du Tribun du peuple, il fut mis en liberté « quelques jours après le 13 vendémiaire, non pas par l’amnistie », mais par « un arrêté particulier du comité de sûreté générale précédé d’un rapport, d’un examen de toutes les charges ». Cet arrêté, daté du 26 vendémiaire (18 octobre), se trouve aux Archives nationales (F7 4278). M. Espinas (La Philosophie du xviiie siècle et la Révolution) s’est trompé à ce sujet (p. 242), comme il s’est trompé (p. 219, note) en paraissant identifier un certain « Le Peletier de l’Épine » avec Babeuf qui n’assistait pas à la prise de la Bastille, comme il s’est trompé à propos des incarcérations de Babeuf (p. 218, 221 et 234), tout en prétendant à cet égard « éviter les confusions où les biographes sont tombés » (p. 237, note). Si M. Espinas se trompe comme tout le monde, il faut du moins reconnaître qu’il est ferme dans ses erreurs (p. 40, note).

La lettre de Babeuf à Merlin (de Douai) était une réponse à un arrêté du Directoire (20 frimaire-11 décembre) au sujet de l’affaire de faux. Qu’était-il arrivé après le jugement du tribunal de Laon lui accordant, le 30 messidor an II (18 juillet 1794), sa mise en liberté sous caution ? C’est ce que le dossier que j’ai retrouvé et un ouvrage de M. Combier, publié en 1882 et mentionné cette même année dans la Revue historique (t. XX, p. 387), sans que personne à ma connaissance s’en soit servi, la Justice criminelle à Laon pendant la Révolution, vont me permettre d’exposer ; quant au dossier, le seul historien à ma connaissance paraissant ne l’avoir pas tout à fait ignoré est M. A. Granier de Cassagnac qui, dans son Histoire du Directoire publiée en 1855, donne