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ritoire » (Moniteur, du 23 thermidor-10 août 1798). Sauf dans le Nord et une partie de la Normandie, la prairie artificielie est une exception, et la culture des légumineuses est plus rare que celle des prairies artificielles (de Pradt, Ibidem, t. Ier, p. 146).

Dans une intéressante réponse (Archives nationales F11, 1173) à une circulaire du 5 vendémiaire an V (26 septembre 1796) adressée par le ministre de l’Intérieur aux administrateurs du département de l’Eure, un citoyen Chanoine s’occupait de la situation agricole. Il signalait l’insuffisance, comme moyen de féconder la terre, de la pratique des très nombreux labours préparatoires et des jachères, toujours en vigueur dans l’Eure et dans les départements environnants ; il préconisait l’emploi des marnes et des engrais, surtout l’enfouissement d’herbages verts pratiqué dans le pays de Caux, la culture alternée des grains, des « plantes qui fournissent des prés artificiels, et des légumes surtout les espèces à graine ronde », et l’augmentation du bétail. À ses yeux, le mal résidait principalement dans l’esprit d’économie mal entendue des propriétaires se refusant à dépenser pour dessécher les terres trop humides, pour arroser celles qui ne le sont pas et qui pourraient l’être, pour corriger les vices des terres trop légères ou trop fortes par des mélanges convenables, dans la brièveté des baux de neuf ans, dans le droit de parcours sur les terres dépouillées de leurs récoltes ou en jachère, dans le morcellement trop grand des propriétés. Il se hâtait d’ajouter, d’ailleurs, qu’il n’était pas également facile de remédier à ces maux et que, par exemple pour le droit de parcours, « des usages qui touchent de si près la partie la moins aisée des habitants de la campagne, ne pourraient se détruire sans une commotion dangereuse ; il y aurait même de l’imprudence à retrancher ces abus ». Ce qu’il fallait, d’après lui, c’était rallier l’opinion aux idées justes, c’étaient « des règlements plus instructifs que prohibitifs ».

Au lieu d’opérer l’extension, par lui poursuivie, de sa culture en supprimant les jachères, le paysan la réalisait en défrichant des parties boisées ou en transformant des prairies naturelles en terres de labour ; et ce mouvement fut, tout au moins au début de notre période, favorisé par de nombreuses administrations municipales qui, en cela, obéissaient au préjugé courant. À la consommation abusive du bois, à son gaspillage, qui résulta de la liberté donnée au propriétaire par la loi du 15 septembre 1791 (art. 6) de disposer de ses bois à son gré, ajouta le déboisement qui sacrifiait de la manière la plus imprévoyante l’avenir à la convoitise d’un gain immédiat. L’administration, du reste, donnait l’exemple au point que, quoiqu’il y eût un arrêté du Directoire (8 thermidor an IV-26 juillet 1796) interdisant les coupes extraordinaires sans autorisation spéciale, Rougier-Labergerie (Annales de l’agriculture, t. Ier, p. 54) regrettait de voir les forêts nationales dans les attributions du ministre des Finances « que les besoins d’argent assiègent sans cesse ».