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raison de ridiculiser, non l’élévation à une situation meilleure de gens partis de rien, mais le plagiat par ceux-ci des habitudes de la classe qu’ils supplantaient. L’obstacle, d’ailleurs, à tout renouvellement de l’art a été cette tendance simiesque de la bourgeoisie, ce snobisme la poussant à contrefaire la noblesse, à adapter le présent à un passé servilement copié.

Le mouvement de rétrogradation de l’art vers l’imitation de quelques antiques était né, sous l’influence des esthéticiens, avant 1789. Beaucoup de destructions imputées au « vandalisme » des révolutionnaires, n’ont été que le résultat de l’étroitesse d’esprit des dévots de certaines statues de l’antiquité ; un mauvais sculpteur, Espercieux, ne proposait-il pas (Journal de la Société républicaine des arts, n° 6, du 5 prairial an 11-24 mai 1794), en parlant des tableaux flamands, la proscription ou, suivant son mot, « la soustraction de ces peintures ridicules » (p. 333) ? « Je ne donnerais pas, disait-il, 24 sols d’un tableau flamand » (Ibidem, p. 330), où il ne voyait que « des magots qui sont à l’espèce humaine ce que Polichinelle est à l’Apollon » (Ibidem, p. 333). Le but de l’art n’a plus été l’interprétation de la nature directement étudiée, mais le pastiche de ce que fut cette interprétation il y a plus de deux mille ans. Ce qui est vrai, c’est que la plupart des hommes politiques de la fin du dix-huitième siècle, avec leur marotte des républiques grecque et romaine provenant de l’adaptation des idées nouvelles au goût de l’antique né avant la Révolution, contribuèrent à accélérer la réaction artistique dont David fut le grand chef et dont son maître, Vien, encore vivant, avait été un des promoteurs. L’oubli se fit autour de Greuze et de Fragonard ; ils assistèrent, méconnus, au triomphe de la nouvelle école dans les Salons qui, redevenus annuels à partir de l’an IV, se tenaient alors au Musée du Louvre. Le Salon de l’an IV et celui de l’an V eurent lieu au début de l’année révolutionnaire (1795 et 1796) et ceux de l’an VI et de l’an VII à la fin (1798 et 1799), de sorte qu’il n’y eut pas de Salon en 1797. C’est dès 1795 qu’a commencé l’envahissement des Salons par le portrait.

On eut de David qui mettait heureusement dans ses portraits la vie qu’il chassait de la « grande peinture », divers portraits — par exemple ceux de son beau-frère Seriziat et de Mme Seriziat — et sa Maraîchère, en 1795 ; il achevait en 1798 (Décade philosophique du 30 vendémiaire an VII-21 octobre 1798, t. XIX, p. 182), son tableau des Sabines qui est, non certes son chef-d’œuvre, mais son œuvre la plus systématique comme chef d’école. De ses élèves, je citerai : Gérard avec son Bélisaire (1795), son Portrait d’Isabey, si remarquable (1796), et sa Psyché et l’Amour qui mit la pâleur à la mode (1798) ; Gros avec un dessin du général Bonaparte, en 1796, et un portrait du général Berthier, en 1798 ; Girodet, avec une Danaé en 1798, les Quatre Saisons, pour le roi d’Espagne, et une nouvelle Danaé peinte par vengeance contre une actrice, Mme Lange, en 1799 ; Isabey, avec ses miniatures et, en 1798, un dessin de genre intime, la Barque.